J’t’aime encore : douter de l’amour

Le 28 avril dernier avait lieu la représentation laboratoire du texte J’t’aime encore, ainsi que le lancement du livre éponyme écrit par Roxanne Bouchard, auteure de la région de Lanaudière. Aussi enseignante au Cégep régional de Lanaudière à Joliette en littérature, elle a déjà à son actif quatre romans : Whisky et Paraboles, La Gifle, Crématorium Circus, Nous étions le sel de la mer, ainsi qu’une correspondance avec un militaire canadien intitulée En terrain miné. Maintenant, elle publie une toute première pièce de théâtre.

Le texte de Bouchard est inspiré et joué par Marie-Joanne Boucher. Cette comédienne, connue du public québécois pour ses passages dans Virginie et Providence, dans lesquelles elle interprétait les rôles de Claudie et Marie-Ève, a rendu un vibrant hommage au texte de Bouchard. Un membre très important de ce trio gagnant qu’il ne faut surtout pas oublier : François Bernier. Metteur en scène de la pièce de théâtre J’t’aime encore, Bernier a fait un travail formidable en laissant de côté les fioritures et en mettant de l’avant la simplicité.

Crédit photo : Roxanne Bouchard

Crédit photo : Roxanne Bouchard

Lire ou jouer

Le début de la pièce a laissé le public un peu perplexe. Alors qu’il s’attend à une interprétation du texte, la comédienne annonce d’entrer de jeu qu’elle doit faire une lecture. Le texte qu’elle entreprend de lire est lourd et difficile à saisir : « Au troisième siècle avant Jésus-Christ, en Grèce, le philosophe et mathématicien Ératosthène est parvenu à mesurer partiellement le globe terrestre et à dresser une carte des régions habitées. Pour Ératosthène, cette île gigantesque, entourée d’un océan unique et occupée par l’humanité, c’était l’écoumène.» Cependant, bien rapidement, les choses changent et la comédienne nous emmène dans son univers.

Vient toujours, après un certain temps de vie conjugale, des doutes. Ce genre de doutes qui nous fait réfléchir, qui nous fait perdre de vue l’essentiel. Ces remises en question poussent certaines personnes à aller voir si le gazon est plus vert chez le voisin. Alors, nous avons besoin de nous souvenir. Nous souvenir pourquoi nous aimons tellement cette personne, pourquoi c’est avec elle que nous avons décidé de construire quelque chose de beau, quelque chose de fort. La pièce J’t’aime encore, de Roxanne Bouchard, met en scène une femme qui, arrivée à un point culminant de sa vie, se voit contrainte de faire face à ses doutes. Elle prend conscience, en se laissant aller au jeu de la séduction, qu’elle a toujours envie d’aimer.

Marie-Joanne Boucher a su passer un message puissant au public. Tous et chacun ont eu l’impression que l’histoire qu’elle racontait était ou pourrait être la sienne. Malgré le fait que le monologue s’inspire d’une femme dans la quarantaine ayant une 3768902_origfamille et une maison, les jeunes dans la vingtaine présents dans la salle pouvaient facilement se reconnaître dans ce personnage qui vacille entre responsabilités, amour et doutes.

Tout au long de la lecture, qui se transforme assez rapidement en réel jeu théâtral, l’actrice nous fait vivre des moments forts en émotions. On passe rapidement du rire à l’angoisse et parfois même à des moments émouvants. Le jeu et le texte ont même réussi à soutirer quelques larmes à certains spectateurs.

Minimalisme gagnant

Sur scène, on ne trouve qu’une chaise, un lutrin, une sacoche, une petite table ainsi qu’un bol à fruit. Les jeux de lumière sont simples, les effets sonores quasi inexistants. Ce côté minimaliste permet au texte d’être le centre de l’attention des spectateurs. De cette façon, notre regard n’est rivé que sur la comédienne, au lieu d’errer partout à observer les détails de la scénographie. Ce qui est d’autant plus intéressant avec ce genre de décor, c’est que la pièce peut être jouée dans n’importe quelle salle. C’est donc un plus pour les projets futurs de ce trio.

Par Laurianne Marion

Crédit photos de la pièce: Le Folkographe http://www.folktographe.com/b-l-o-g-u-e/previous/2

Mustang: un désir de liberté

Mustang est le premier long-métrage de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven. Sorti en 2015, le film connait un réel succès à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Il est par la suite choisi pour représenter la France aux Oscars, en 2016, dans la catégorie «Meilleur film en langue étrangère». Les 21 et 22 mars derniers, nous avons eu la chance de pouvoir assister à la représentation de ce long-métrage étranger au cinéma de Joliette, dans le cadre du ciné-répertoire.

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L’histoire prend cœur dans un petit village éloigné de Turquie, où des valeurs traditionnelles et ultraconservatrices règnent en maître. Là-bas vivent cinq jeunes sœurs adolescentes ayant été élevées, après la mort de leurs parents, par leur grand-mère et l’un des fils de cette dernière. Le jour où les vacances d’été débutent, Lale, douze ans, et ses quatre sœurs rentrent de l’école. Profitant de la chaleur du soleil et de la Mer Noire, elles s’amusent à la plage avec des garçons, grimpant sur leurs épaules pour se bagarrer dans l’eau. Mais ces jeux innocents font scandales chez les villageois aux idées conformistes, qui vont jusqu’à les percevoir comme obscènes et sexuels. Les conséquences sont alors énormes pour les filles. Séquestrées dans la maison familiale, qui devient une vraie prison, les cours de pratiques ménagères prendront la place de l’école, en vue de mariages arrangés.

     La réelle beauté de ce film, outre les paysages turques époustouflants, réside dans le message que tente de faire passer Deniz Gamze Ergüven. Vivant dans une société patriarcale où elles sont oppressées par leur statut de femmes, ces jeunes adolescentes luttent afin de conserver leur liberté et leur joie de vivre. Mustang cherche avant tout à raconter comment vit une femme dans la société turque contemporaine. L’esprit rebelle et contestataire des héroïnes démontre une jeunesse forte et progressiste, qui contraste avec les idées rétrogrades partagées dans le pays.

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Loin de se conforter dans un rôle de victimes, les cinq sœurs tentent sans cesse de contourner et de déjouer les limites imposées. Au milieu de leur situation difficile, elles trouvent du réconfort et du courage entre elles, à travers une relation complice et touchante. Que ce soit l’aînée, qui s’échappe par la fenêtre pour aller rejoindre son amoureux dans la nuit, ou la cadette, qui entraîne ses sœurs dans une folle aventure afin d’assister à un match de football, chacune désire échapper à l’emprisonnement qu’est désormais leur quotidien. On peut dire que le titre Mustang, qui fait référence au cheval sauvage, est bien choisi pour représenter ces femmes courageuses et indomptables.

Mustang a souvent été comparé à Virgin suicides, un film américain de Sophia Coppola qui met également en scène cinq sœurs adolescentes élevées dans une famille très stricte, et qui finissent par se donner la mort. On peut dire que Deniz Gamze Ergüven réussit, à l’aide de son art, à influencer les façons de penser des spectateurs, et par le fait même, à faire évoluer les mentalités.

Par Charlie Leclerc