De Synthèse

De synthèse est un roman de Karoline Georges publié par les éditions Alto. Cette œuvre raconte la vie d’une mannequin qui tente de s’effacer du réel pour devenir purement image. Entre la fixité idéale de la virtualité et la réalité imparfaite du mouvement, l’auteure nous décrit un futur proche amplifié de technologies diverses où l’image est devenue religion.

La narratrice a vécu une enfance traumatisante. Sa mère, femme à la maison, est victime de violence conjugale par un mari alcoolique. La fillette éprouve de l’angoisse généralisée pour sa famille et la société, qu’elle apprend à fuir à travers le monde de la fiction . Après une brève carrière en tant que modèle, elle s’isole dans un condo minimaliste purement utilitaire pour se transcender à travers son avatar qu’elle nomme Anouk. Le personnage passe son temps à fabriquer des peaux, des personnalités toujours plus vivantes à sa poupée numérique. Elle tente d’oublier au maximum son corps au profit d’une existence marquée par la quête infiniment sacrée de l’image. Malheureusement, sa quête est ébranlée par la découverte du cancer de sa mère.

Le roman révèle une narratrice sans nom qui cherche à s’évader, à se connecter dans un monde virtuel où, on le sent, elle se porte mieux que dans la réalité.

Par une écriture neutre, froide et à l’image du monde virtuel, l’histoire devient trop peu attachante pour le lecteur. Le récit est relativement fragmenté, allégeant ainsi la lourdeur du texte causée par son écriture dense et monotone, avec très peu de dialogues.

Aussi, une grande insatisfaction s’installe à la fin du roman : il n’y a aucune remise en question du monde créé par l’écrivaine, où la virtualité et l’image priment sur la réalité. La romancière a tenté de montrer l’adoration du virtuel et de l’image des gens nés à partir des années 70. Depuis l’arrivée de la télévision, certains enfants se retrouvent face à des images de perfection dès leur plus jeune âge. La recherche du sublime se continue donc tout au long de leur vie. Cet enjeu est illustré à l’extrême dans le livre, peut-être dans l’exagération, quoi qu’exprimé de façon intéressante. La technologie et ses avancées sont des enjeux qui inquiètent de plus en plus et il est rare de lire un texte qui en parle sans être une critique flagrante.

Par Roxanne Gagné, William-Alexandre Ross et Maxime Arseneault-Lefrançois

Les villes de papier

Les villes de papier est un roman, fruit du travail et de la passion de Dominique Fortier pour Emily Dickinson. Celui-ci mêle la biographie et la fiction, inspiré de la vie de la poète étatsunienne. Bien que le quotidien de cette légende de la littérature soit relativement mystérieux et difficile à retracer, Fortier y taille une Emily fort convaincante grâce à son imagination fertile et vivante.

Emily Dickinson est un personnage cloîtré depuis des années dans sa chambre de la demeure familiale à Homestead. Elle a fait le choix de la sédentarité depuis longtemps et consacre sa vie à l’écriture.


« Maintenant, qu’elle a retrouvé la demeure de son enfance, elle est bien déterminée à ne jamais quitter-et la demeure, et l’enfance. » « […] elle songe que, de tous les membres de sa famille, celui qu’elle préfère, c’est peut-être bien la maison. »

Emily Dickinson écrit beaucoup malgré que peu de ses poèmes n’aient été publiés. Elle a une étroite relation avec ses livres et elle se construit un monde entre les quatre murs de sa maison. Son confinement affecte néanmoins ses relations sociales.


« [quand] un visiteur se présente, il arrive bien qu’elle le reçoive, mais derrière une cloison. Il s’assied sur une chaise dans la chambre déserte, elle prend place de l’autre côté de la paroi, et chacun parle au mur. »

Une des caractéristiques incontournables de l’œuvre est sa structure fragmentée. L’auteur alterne entre la narration à la troisième personne, lorsque est raconté la « vie » d’Emily, et à la première personne, quand la narratrice parle de sa propre vie. Il s’agit d’une série d’anecdotes qu’a vécues ou qu’aurait pu vivre Emily, en plus de réflexions qui auraient éventuellement pu germer dans son esprit. La narratrice met en parallèle sa vie et celle de la poète, très différentes l’une de l’autre, mais toutes deux avec une quête : trouver leur chez-soi.

Cependant, bien que le concept soit une bonne idée, les chapitres narrés à la première personne sortent un peu trop du lot et on entrevoit un possible lien qu’à la fin. Il y a trop d’éléments qui viennent entraver notre intérêt pour le destin de la narratrice.

Les métaphores et les comparaisons avec la nature se retrouvent abondamment dans le roman, à l’image des « mauvaises herbes » cultivées par Dickinson. Chaque élément qu’il est possible d’imager l’est :


« Susan a une peau de porcelaine, la bouche ronde et rouge comme une cerise, des boucles folles qui dansent autour de ses joues. »

On s’imagine bien cette Susan sublime, mais de telles stratégies esthétiques tout au long du roman peuvent rapidement lasser. Trop de poésie gâche la poésie comme les ronces un jardin.

Par Charles-Éric Gaudreau Lepage et Christina Champagne


[

Querelle de Roberval

Le roman Querelle de Roberval, de Kevin Lambert,  est pour le moins intrigant. Ce qu’on croit d’abord être un roman syndicaliste réaliste se transforme en carnage avec des scènes empruntées à la tragédie grecque. L’auteur sculpte un roman coup de poing, écrit dans un style très provocateur.

Ce roman social nous présente des grévistes d’une scierie de Roberval qui sont en colère contre leurs patrons, les Ferland. Cette manifestation deviendra rapidement très violente. L’auteur met en lumière la réalité de ces grévistes, leurs problèmes et leurs idéologies.

Le roman mélange deux thématiques qui ne semblent avoir aucun lien ensemble, soit la sexualité homosexuelle et le monde du travail. Le personnage principal, celui dont le roman porte le nom, ce Querelle, est l’incarnation des deux, soit un être très sexué et un employé de la scierie en grève.

L’auteur fait aussi un parallèle saisissant entre les rapports de forces présents dans le système capitaliste et dans les rapports sexuels qu’il décrit. Dans chacun des cas, c’est une relation entre dominant et dominé : « […] ils ne sont jamais assez remplis de lui [..] restant éternellement là, dans son lit, à portée de son gland, anticipant le moment où brusquement il bande et doit se mettre, en devenant sa pute, sa chienne… » Querelle est le mâle dominant par excellence. Comme les patrons de l’usine, il a de beaucoup d’emprise sur un grand nombre de personnes. Dans les deux milieux, le dominé connait son rôle et se fait « enculer », pour reprendre le terme du livre, par celui qui le domine, au sens propre et au sens figuré.

On retrouve la thématique, présentée de manière encore plus crue avec trois jeunes bandits, qui sont complètement à l’écart de la société, en dehors de ses luttes syndicalistes: « [il] s’installe, à plat ventre et les jambes ouvertes, prêt à recevoir ses boys. Toute la nuit, les deux autres rempliront de leur sperme brûlant et sa gorge et son cul. » Ils vivent sans morale, ils sont les oubliés, les rejetons de la société.

Querelle de Roberval crée une habile confusion et déstabilise le lecteur. Par exemple, l’auteur jongle entre la narration directe, indirecte et indirecte libre d’une telle façon qu’il est impossible de distinguer les paroles de l’auteur des paroles des personnages. Il joue aussi sur la position qu’on doit prendre par rapport aux grévistes en empruntant un ton ironique : «Faire le récit des aléas d’une lutte syndicale a pu donner à madame la lectrice ou à monsieur le lecteur l’impression d’un parti pris du texte en raison d’une empathie trop grande envers les grévistes. Or la position défendue par le livre se veut claire : l’entrepreneuriat est le génie de notre époque.»

Malheureusement pour le reste du livre qui a beaucoup de qualités, la fin est douteuse, grotesque et surréaliste. Le livre tombe dans l’absurde et c’est beaucoup trop éclaté pour le récit de grévistes terre à terre qu’est le début du livre : « Côte à côte, sur un feu de bois immense, ils (le patron et sa femme) grillent depuis plusieurs heures. Judith a préparé elle-même la marinade – en diluant la sauce barbecue du Costco avec du vin et un peu d’eau -, qu’elle verse sur leur peau croustillante à mesure que la cuisson avance. » Ça donne l’impression que l’auteur a voulu faire un récit réaliste, mais a changé d’idée en cours de route pour écrire une histoire d’horreur. Le début et la fin sont mal agencés.

Pour conclure, avec son roman enrobé de beaucoup de provocation, Kevin Lambert, pour le moins qu’on puisse dire, n’épargne en rien le lecteur en testant constamment sa tolérance.

Par Charlotte Bergeron et Claire-Hélène Piuze

Créatures du hasard

Dans son récit Créatures du hasard, Lula Carballo écrit une ode à sa grand-mère. Originaire de l’Uruguay, elle met sur papier les souvenirs de son enfance passée dans son pays d’origine. L’écrivaine plonge les lecteurs dans l’univers de la petite Lula. Sa vision du monde est ainsi mise de l’avant. Dans le récit, les personnages féminins dominent. D’ailleurs, les titres des chapitres en témoignent: «Fille», «Fille-mère-fille» et «Grand-mère-fille». 


«Léo m’envoie jouer à la Quiñela. Je mise une grosse somme sur le 227, une autre sur le 342 et je garde ce qui reste pour un troisième numéro. Je choisis le 216, jour et mois de ma naissance. L’épicier me laisse faire, même si je suis mineure. Léo est une bonne cliente. Il ne soupçonne guère que la maladie familiale se propage dès le plus jeune âge.»

L’addiction aux jeux de hasard est un sujet omniprésent du récit. En effet, obsédées par les paris, les machines à sous et les roulettes, les femmes répandent cette dépendance de génération en génération. Lula porte un regard plutôt neutre sur les femmes qui l’entourent tout en gardant un œil critique et mature face à celles-ci. Elle sait pertinemment qu’elles ne sont pas des modèles à suivre, mais passe outre puisqu’elle les aime.

Tout comme dans Le grand cahier d’Agota Kristof, la jeune fille négligée qu’était Lula Carballo passe des cafards aux poux pour partager son ancienne réalité crue en démontrant bien la pauvreté qu’elle a vécue. Elle raconte en détails l’environnement défavorisé dans lequel elle a grandi et il transparaît bien. En découvrant l’univers de son enfance, on se sent irrémédiablement attiré par ce monde sale et si différent de notre réalité. La chaleur transposée et la puanteur des décharges de poubelles s’établit de façon significative. Elle réussit à nous transporter dans un pays étranger pour nous faire vivre dans un lieu bien loin du notre.

Entre les bonbons Candel et les poupées aux expériences capillaires hors de l’ordinaire, il est évident que la place de la grand-mère est moindre dans les intérêts de la narratrice. Elle apparaît trop sporadiquement pendant les deux premières parties du livre et c’est dommage. L’auteure nous présente ses souvenirs à la manière d’une personne qui fouille dans une boite à chaussures, en ressortant une à une des photos et des babioles de son enfance. Il est donc à nous, lecteurs, de trouver lesquels de ces brins de souvenirs sont essentiels à la compréhension et au déroulement du récit.

Le roman se termine avec une scène touchante, où pour la première fois, la narratrice dévoile ses émotions. Elle pleure la mort de sa grand-mère, ses souvenirs avec elle, les danses folles dans la vieille maison et les leggings mauves éclatants, déchaînant sa peine contre la porte condamnée de ce qui a été son endroit préféré. Bien que cette scène soit convenablement réussie, cela ne rachète pas le manque de substance qui hante l’ensemble du roman.


«Rien ne peut m’empêcher que je me défoule contre la porte de Régina. Je veux danser. Je veux qu’on s’enlace. Les yeux fermés, je veux chanter mes hommages au toréador mort dans l’arène.

Quelqu’un m’éloigne de la porte.»

Par Maude Dulong, Marie-Soleil Tousignant et Samy-Kim Bertrand

Ce qu’on respire sur Tatouine

Auteur: Jean-Christophe Réhel.

Ce qu’on respire sur Tatouine, de Jean-Christophe Réhel, aborde les thèmes de la maladie et de la solitude à travers les yeux d’un narrateur atteint de fibrose kystique, qui n’est pas plus charmant que sa maladie. Le lecteur assiste à sa lente déchéance en suivant son rejet progressif de toute relation humaine. Travaillant tour à tour dans un bureau de renseignements touristiques, un magasin de chaussures et un super C, passant d’un appartement à une chambre de sous-sol de Repentigny, nécessitant l’aide de sa petite sœur new-yorkaise sans cesse, le narrateur se dégage peu à peu du monde des adultes. L’irresponsabilité dont il fait preuve, rappelant l’adolescence, le pousse à prendre de mauvaises décisions, comme acheter un masque d’Halloween plutôt que de payer son loyer, ou vomir un surplus de crème de menthe sur les murs d’une chic maison américaine. Plus la maladie prend de l’ampleur, plus le personnage semble incapable de prendre sa vie en main et devient négligent. Ainsi, des symptômes inquiétants, tels des crachats ensanglantés, sont relégués au second plan de ses préoccupations.

L’auteur nous offre certes une vision intéressante d’une maladie qui, bien que connue, nous reste mystérieuse. Toutefois, son personnage manque de mordant, il nous manque quelque chose à quoi nous accrocher pour nous permettre d’apprendre à l’aimer. Par ailleurs, Ce qu’on respire sur Tatouine est comme la grotte d’Ali Baba avec une quantité impressionnante de références à la culture populaire, de Star Wars à Rihanna, en passant par les White Stripes. On ne peut qu’applaudir l’auteur pour son habileté, bien que la culture québécoise manque à l’appel. Les liens étranges apportés par ces références nous permettent au moins de nous amuser à certains moments: «Je suis Mystique, j’enlève ma jaquette, je me transforme en Leonardo DiCaprio. » Tous ces clins-d’oeil, combinés à l’humour de Réhel et aux phrases très brèves, voire infantiles, donnent au récit un débit rapide et permettent une lecture aisée sur un thème aussi sombre que la fibrose kystique. Par contre, cet humour a ses limites. Voir le narrateur s’imaginer être George Clooney alors qu’il se fait observer le postérieur est certes hilarant, mais pour que ça le reste, il aurait fallu que l’auteur utilise cette technique avec parcimonie.

Malgré un personnage piteux et des événements répétitifs, le récit est bien tissé. Réhel nous offre une vision originale d’une maladie dont on entend le nom de plus en plus souvent. Le lecteur devra cependant rester bien éveillé pendant la lecture, sinon il peut rapidement se perdre dans la multiplication des références culturelles.

Par Léa Hétu et Valérie Lajeunesse