Créatures du hasard

Dans son récit Créatures du hasard, Lula Carballo écrit une ode à sa grand-mère. Originaire de l’Uruguay, elle met sur papier les souvenirs de son enfance passée dans son pays d’origine. L’écrivaine plonge les lecteurs dans l’univers de la petite Lula. Sa vision du monde est ainsi mise de l’avant. Dans le récit, les personnages féminins dominent. D’ailleurs, les titres des chapitres en témoignent: «Fille», «Fille-mère-fille» et «Grand-mère-fille». 


«Léo m’envoie jouer à la Quiñela. Je mise une grosse somme sur le 227, une autre sur le 342 et je garde ce qui reste pour un troisième numéro. Je choisis le 216, jour et mois de ma naissance. L’épicier me laisse faire, même si je suis mineure. Léo est une bonne cliente. Il ne soupçonne guère que la maladie familiale se propage dès le plus jeune âge.»

L’addiction aux jeux de hasard est un sujet omniprésent du récit. En effet, obsédées par les paris, les machines à sous et les roulettes, les femmes répandent cette dépendance de génération en génération. Lula porte un regard plutôt neutre sur les femmes qui l’entourent tout en gardant un œil critique et mature face à celles-ci. Elle sait pertinemment qu’elles ne sont pas des modèles à suivre, mais passe outre puisqu’elle les aime.

Tout comme dans Le grand cahier d’Agota Kristof, la jeune fille négligée qu’était Lula Carballo passe des cafards aux poux pour partager son ancienne réalité crue en démontrant bien la pauvreté qu’elle a vécue. Elle raconte en détails l’environnement défavorisé dans lequel elle a grandi et il transparaît bien. En découvrant l’univers de son enfance, on se sent irrémédiablement attiré par ce monde sale et si différent de notre réalité. La chaleur transposée et la puanteur des décharges de poubelles s’établit de façon significative. Elle réussit à nous transporter dans un pays étranger pour nous faire vivre dans un lieu bien loin du notre.

Entre les bonbons Candel et les poupées aux expériences capillaires hors de l’ordinaire, il est évident que la place de la grand-mère est moindre dans les intérêts de la narratrice. Elle apparaît trop sporadiquement pendant les deux premières parties du livre et c’est dommage. L’auteure nous présente ses souvenirs à la manière d’une personne qui fouille dans une boite à chaussures, en ressortant une à une des photos et des babioles de son enfance. Il est donc à nous, lecteurs, de trouver lesquels de ces brins de souvenirs sont essentiels à la compréhension et au déroulement du récit.

Le roman se termine avec une scène touchante, où pour la première fois, la narratrice dévoile ses émotions. Elle pleure la mort de sa grand-mère, ses souvenirs avec elle, les danses folles dans la vieille maison et les leggings mauves éclatants, déchaînant sa peine contre la porte condamnée de ce qui a été son endroit préféré. Bien que cette scène soit convenablement réussie, cela ne rachète pas le manque de substance qui hante l’ensemble du roman.


«Rien ne peut m’empêcher que je me défoule contre la porte de Régina. Je veux danser. Je veux qu’on s’enlace. Les yeux fermés, je veux chanter mes hommages au toréador mort dans l’arène.

Quelqu’un m’éloigne de la porte.»

Par Maude Dulong, Marie-Soleil Tousignant et Samy-Kim Bertrand