Les villes de papier est un roman, fruit du travail et de la passion de Dominique Fortier pour Emily Dickinson. Celui-ci mêle la biographie et la fiction, inspiré de la vie de la poète étatsunienne. Bien que le quotidien de cette légende de la littérature soit relativement mystérieux et difficile à retracer, Fortier y taille une Emily fort convaincante grâce à son imagination fertile et vivante.
Emily Dickinson est un personnage cloîtré depuis des années dans sa chambre de la demeure familiale à Homestead. Elle a fait le choix de la sédentarité depuis longtemps et consacre sa vie à l’écriture.
« Maintenant, qu’elle a retrouvé la demeure de son enfance, elle est bien déterminée à ne jamais quitter-et la demeure, et l’enfance. » « […] elle songe que, de tous les membres de sa famille, celui qu’elle préfère, c’est peut-être bien la maison. »
Emily Dickinson écrit beaucoup malgré que peu de ses poèmes n’aient été publiés. Elle a une étroite relation avec ses livres et elle se construit un monde entre les quatre murs de sa maison. Son confinement affecte néanmoins ses relations sociales.
« [quand] un visiteur se présente, il arrive bien qu’elle le reçoive, mais derrière une cloison. Il s’assied sur une chaise dans la chambre déserte, elle prend place de l’autre côté de la paroi, et chacun parle au mur. »
Une des caractéristiques incontournables de l’œuvre est sa structure fragmentée. L’auteur alterne entre la narration à la troisième personne, lorsque est raconté la « vie » d’Emily, et à la première personne, quand la narratrice parle de sa propre vie. Il s’agit d’une série d’anecdotes qu’a vécues ou qu’aurait pu vivre Emily, en plus de réflexions qui auraient éventuellement pu germer dans son esprit. La narratrice met en parallèle sa vie et celle de la poète, très différentes l’une de l’autre, mais toutes deux avec une quête : trouver leur chez-soi.
Cependant, bien que le concept soit une bonne idée, les chapitres narrés à la première personne sortent un peu trop du lot et on entrevoit un possible lien qu’à la fin. Il y a trop d’éléments qui viennent entraver notre intérêt pour le destin de la narratrice.
Les métaphores et les comparaisons avec la nature se retrouvent abondamment dans le roman, à l’image des « mauvaises herbes » cultivées par Dickinson. Chaque élément qu’il est possible d’imager l’est :
« Susan a une peau de porcelaine, la bouche ronde et rouge comme une cerise, des boucles folles qui dansent autour de ses joues. »
On s’imagine bien cette Susan sublime, mais de telles stratégies esthétiques tout au long du roman peuvent rapidement lasser. Trop de poésie gâche la poésie comme les ronces un jardin.
Par Charles-Éric Gaudreau Lepage et Christina Champagne