Le roman Querelle de Roberval, de Kevin Lambert, est pour le moins intrigant. Ce qu’on croit d’abord être un roman syndicaliste réaliste se transforme en carnage avec des scènes empruntées à la tragédie grecque. L’auteur sculpte un roman coup de poing, écrit dans un style très provocateur.
Ce roman social nous présente des grévistes d’une scierie de Roberval qui sont en colère contre leurs patrons, les Ferland. Cette manifestation deviendra rapidement très violente. L’auteur met en lumière la réalité de ces grévistes, leurs problèmes et leurs idéologies.
Le roman mélange deux thématiques qui ne semblent avoir aucun lien ensemble, soit la sexualité homosexuelle et le monde du travail. Le personnage principal, celui dont le roman porte le nom, ce Querelle, est l’incarnation des deux, soit un être très sexué et un employé de la scierie en grève.
L’auteur fait aussi un parallèle saisissant entre les rapports de forces présents dans le système capitaliste et dans les rapports sexuels qu’il décrit. Dans chacun des cas, c’est une relation entre dominant et dominé : « […] ils ne sont jamais assez remplis de lui [..] restant éternellement là, dans son lit, à portée de son gland, anticipant le moment où brusquement il bande et doit se mettre, en devenant sa pute, sa chienne… » Querelle est le mâle dominant par excellence. Comme les patrons de l’usine, il a de beaucoup d’emprise sur un grand nombre de personnes. Dans les deux milieux, le dominé connait son rôle et se fait « enculer », pour reprendre le terme du livre, par celui qui le domine, au sens propre et au sens figuré.
On retrouve la thématique, présentée de manière encore plus crue avec trois jeunes bandits, qui sont complètement à l’écart de la société, en dehors de ses luttes syndicalistes: « [il] s’installe, à plat ventre et les jambes ouvertes, prêt à recevoir ses boys. Toute la nuit, les deux autres rempliront de leur sperme brûlant et sa gorge et son cul. » Ils vivent sans morale, ils sont les oubliés, les rejetons de la société.
Querelle de Roberval crée une habile confusion et déstabilise le lecteur. Par exemple, l’auteur jongle entre la narration directe, indirecte et indirecte libre d’une telle façon qu’il est impossible de distinguer les paroles de l’auteur des paroles des personnages. Il joue aussi sur la position qu’on doit prendre par rapport aux grévistes en empruntant un ton ironique : «Faire le récit des aléas d’une lutte syndicale a pu donner à madame la lectrice ou à monsieur le lecteur l’impression d’un parti pris du texte en raison d’une empathie trop grande envers les grévistes. Or la position défendue par le livre se veut claire : l’entrepreneuriat est le génie de notre époque.»
Malheureusement pour le reste du livre qui a beaucoup de qualités, la fin est douteuse, grotesque et surréaliste. Le livre tombe dans l’absurde et c’est beaucoup trop éclaté pour le récit de grévistes terre à terre qu’est le début du livre : « Côte à côte, sur un feu de bois immense, ils (le patron et sa femme) grillent depuis plusieurs heures. Judith a préparé elle-même la marinade – en diluant la sauce barbecue du Costco avec du vin et un peu d’eau -, qu’elle verse sur leur peau croustillante à mesure que la cuisson avance. » Ça donne l’impression que l’auteur a voulu faire un récit réaliste, mais a changé d’idée en cours de route pour écrire une histoire d’horreur. Le début et la fin sont mal agencés.
Pour conclure, avec son roman enrobé de beaucoup de provocation, Kevin Lambert, pour le moins qu’on puisse dire, n’épargne en rien le lecteur en testant constamment sa tolérance.
Par Charlotte Bergeron et Claire-Hélène Piuze