Les Grands Connes au pays de l’autofiction, par William-Alexandre Ross
Il est temps de nous diriger vers un local du cégep dont l’aura est assez puissante pour nous faire apprendre activement : la salle d’apprentissage actif. Nous sommes escortés par les gourous de la secte littéraire de minuit : Louis Cornellier, Roxanne Bouchard, et Mathieu Payette, ainsi que leur laquais, Raphaël Desroches.
Dans la salle se trouve, debout sur son piédestal, Véronique Marcotte, femme de lettres, de récit et d’autofiction. Louis Cornellier s’empresse de s’asseoir au fond de la salle, les yeux lourds : son couvre-feu de 20h30 était déjà passé depuis beaucoup trop longtemps. Mais le sujet, qui demande de fouiller dans notre mémoire, est tenace : on semble voir, dans ses yeux rêveurs, le souvenir des belles années de sa jeunesse.
Je m’assois avec mon équipe supposément forte et intelligente, les Grands connes. Tout de suite, nous sommes plongés dans un profond enthousiasme à l’écoute de Véronique Marcotte, qui s’empresse de nous raconter avec humour et joie ce qu’on doit mettre dans un récit d’autofiction. Exagérer est bon, c’est ce qu’il faut pour capter l’attention du lecteur, parce qu’une simple virée au dépanneur n’a rien de véritablement intéressant. Il faut magnifier la chose. Le « je » est primordial pour intégrer un rapport personnel à l’œuvre. L’anecdote est le cœur du jeu, mais toutes ne sont pas aptes à devenir littéraires. Elle enchaîne avec le sujet de la peur, en nous racontant une anecdote qu’elle a déjà insérée dans l’un de ses livres, à propos d’un voyage en Haïti qui aurait mal tourné.
Véronique nous demande d’écrire un texte qui s’inspire à la fois du réel et du mensonge. Les Grands connes semblent tourner autour du pot : Charles-Éric continue de parler de ses amours passées de bar, je continue de manger des bonbons à la pêche en essayant toujours de convaincre mes compatriotes que Hochelagurls n’est pas un bon recueil de poésie. Maxime et Samy-Kim me demandent de me la fermer et Emy essaie d’écrire l’exercice demandé.
Véronique nous laisse la parole. Elle demande aux lettrés de conter une histoire qui nous est déjà arrivée et qui nous a fait peur. Léa, dont les souvenirs reviennent d’un coup, ne peut garder cela en dedans. D’un bond, elle se lève et nous ébranle tous en nous révélant la terrible histoire de son frère qui lui a lancé un ballon à la figure. Sonnée, elle se rassoit doucement, le nez qui saigne encore après tant d’années.
Le moment venu de lire les textes, Roxanne Bouchard, femme d’une autorité extrême qu’elle est, crie « Hey! Ho! Hm! Hm! Debout! » à tous ceux et celles qui ne lisent pas debout. Ses petits cris secs réveillent Louis Cornellier, au fond de la salle, qui s’était endormi, rêvant d’un idéal poétique. De son côté, Mathieu Payette, ricaneur de personnalité, semble se dire qu’il ne succombera pas, lui, à la tentation d’aller sommeiller.
Les textes sont tous bons, sauf, bien entendu, celui de mon équipe. Si, au moins, on ne s’était pas attardés sur les bonbons, les mauvais recueils de poésie et les mauvais gars de bar, on aurait pu faire un bon récit.
L’activité finie, nous remercions Valérie Marcotte et nous quittons la salle, en prenant bien soin de ne pas faire trop de bruit pour Louis Cornellier qui s’est rendormi, et nous fermons la lumière. Par surprise, je constate que Mathieu Payette n’est plus avec nous : cet homme, en qui nous avions confiance, est parti dormir lui aussi!
La salle aux perles, par Marie-Soleil Tousignant
Après l’activité sur le mensonge vient l’heure de vérité. Il est minuit, l’heure où la lune est à son zénith et où les véritables visages sont démasqués… Minuit cinq pour être exact. William-Alexandre, toujours sous l’influence des pêches en gélatine peine à rester en place, ce qui lui vaut un ou deux feulements de la part de la maîtresse de la théâtralité, Renée Gaudet. Nous nous réunissons dans la Grotte (le fameux D-213 ou la «salle du conseil»). Renée nous invite alors à aller chercher les photos de nous à l’âge de douze ans, qui sont disposées sur une table qui rappelle plus un autel qu’autre chose, où sont posées des peluches géantes. Nous savons à quoi nous attendre, nous allons devoir écrire à nous-mêmes, et ce, à l’ancienne. Il s’agit littéralement d’un exercice de correspondance, nous devons donc prendre en compte tout ce qu’implique la correspondance avant l’ère du numérique: l’écriture à la main, le papier à lettres et surtout l’attente et l’incertitude. La personne à qui on écrit va-t-elle lire la lettre? Quand va-t-elle la recevoir? Va-t-elle la recevoir? Cela cause inévitablement une certaine angoisse, mais le simple fait d’écrire est libérateur.
Soudainement, William-Alexandre s’empare d’un des toutous. Il ne faut pas beaucoup de temps à certaines pour fondre en larmes à cause de l’enlèvement. Trois professeurs et l’intervention du gardien sont nécessaires pour arriver à récupérer la peluche en un seul morceau avant que Renée ne puisse offrir généreusement des tournées de câlins.
Vient le moment où l’on nous propose de lire nos lettres à nous-mêmes. Certains y vont avec humour et autodérision (nous pouvons ici nommer Alexia, William-Alexandre et Charles-Éric) alors que pour d’autres, le sérieux était de mise. Avec cette atmosphère chargée en émotions parfois contradictoires, quelques hypersensibles ont été incapables de contenir leurs larmes. Quant à moi, pleurant comme une madeleine, j’ai réussi à déclencher des pluies de petites perles dans les yeux de mes collègues. Malgré le torrent de nostalgie et de tristesse qui les engloutissait, tout un chacun a su faire preuve de compassion, de respect et d’amour, si bien qu’il ne s’est jamais donné autant de câlins qu’en cette petite heure.