J’ai pris le temps de me faire un bon café. Je me suis brossé les dents. J’ai pris le temps de réciter l’alphabet et de compter les nuages dans le ciel. J’arrive dans le Cégep en marchant nonchalamment, une statuette de Bouddha dans les mains pour inspirer les trois personnes qui vont être attirées par notre kiosque. Mes amis Morphéistes s’affairent déjà autour d’une table qui ressemble à une brocante, il n’y a qu’eux pour se dépêcher pour la poésie. Comme une maman qui enroberait les légumes de panure pour les faire avaler aux enfants, nous avons décidé de dynamiser notre activité d’écriture de poèmes avec des objets trouvés dans le costumier louche de Renée. Nos hypothétiques poètes d’un jour devront choisir un de ces objets pour créer.
Mes amis sont intelligents; ils n’ont pas affiché que notre table était un kiosque de poésie. On va miser sur nos belles faces pour attirer les gens.
Étonnamment, notre stratégie fonctionne. Un premier étudiant s’approche de nous.
– « Qu’est-ce que vous faites?
-De la poésie
-Wow. Mon Dieu, d’accord.
-Veux-tu participer?
-J’écris pas ça, de la poésie. »
On le sait. Personne n’écrit de la poésie à part les turbo rêveurs comme nous. C’est pour ça qu’on est là.
Une chance que le garçon est un courageux. Il se lance, la tête première dans la folie. Il me donne un peu d’espoir et d’énergie. Moi qui avais commencé en Jean-Christophe Réhel, je me métamorphose tranquillement en Jean-Paul Daoust. Avec assurance, j’interpelle les gens qui passent à côté de nous en nous dévisageant. Une personne s’arrête. Puis une autre. Puis une autre. Entre les non-convertis s’arrête Roxanne, première lettrée à s’intéresser à nous. À mon plus grand déboire, elle ne participe pas. Elle me fait de nouveau perdre espoir en la poésie.
José, grand habitué du ciné-répertoire, vulgaire jusqu’au trognon, vient m’écrire un poème d’inspiration Hochelagurls, sur un pénis et un vingt dollars. Je le cache, mais il me fait sourire.
De nouveau, les gens viennent à notre kiosque. Bientôt, nous sommes tellement attirants que nous ne fournissons plus en crayons. C’est un miracle. La poésie se relève de ses cendres.
Frédéric Généreux arrive, les yeux plein de fierté pour ses bébés fakirs. Il nous pond un poème qui m’achève, me redonnant définitivement espoir en la poésie et en la vie. Jean-Christophe est enterré pour de bon. Renée arrive à la fin de l’activité. Je lui vante notre succès. Je leur vante notre succès. Je suis Jean-Paul Daoust.
Par Claire-Hélène Piuze