Une fin grandiose

Dans’ graisse de bines, par Charles-Éric Gaudreau Lepage

5 :40

« Hey patate ! ils ont donc b’in les yeux dans ‘graisse de bine eux autres ! »Voilà ce que Claire-Hélène aurait dit si elle avait été narratrice. Elle n’aurait pas eu tort. Les littéraires viennent de terminer l’activité de poésie au CAF. L’espoir d’une fin proche était nourri par le Soleil qui venait, de peine et de misère, de se lever. Ah non, la peine et la misère, c’est les élèves. Cette étape marque le digestif avant les dernières étapes de la Nuit. Parlant de bouffe, les étudiantes se dirigent justement vers la cafétéria du personnel, à l’auuuuuuuuuuuuutre bout du cégep, pour s’empiffrer comme des défoncés avec un bon déjeuner. En gros, parce que c’est meilleur quand c’est gros comme on dit, des bananes, des muffins pis du café.

5 :50

Bref, le déjeuner fut succulent. Savoureux. Faste. Moelleux. Délectable. Ô que ce fut mangeable ! Mais pas vraiment revigorant. Endormies par intermittence, des personnes commencent à partir. Elles sont peut-être rassasiées par l’universalité littéraire atteinte durant cette délicieuse nuit, elles sont peut-être repues, mais ce n’est pas fini, c’est un trois services ! Alloo-oooo ! Même William-Alexandre n’est pas mort cette année. GRANDS CONNES ! vous hurlerait-il avec un fond de gentillesse, encouragé par Valérie, la Matante de tous. Après tout, conclure avec deux activités de poésie, n’est-ce pas là la cerise sur le gâteau ? La consécration ultime ? L’apothéose ? Faut croire que non, puisque les étudiantes de première année sont presque toutes parties en piochant du bon manger, au grand dam des finissantes et des professeurs.

6 :00

Dominique Corneillier, qui nous nous fit grâce de sa présence dès l’activité de Frédéric Généreux vers 4 :00, semblait fraîchement arrivé d’un défilé de mode ou d’un plateau, non pas de hors-d’œuvre, mais de télévision. Il invite son collègue à le rejoindre à sa table pour diriger les ordalies décisives.

Sonne alors le glas du destin.

Les Grands-Connes trébuchent et se regroupent, les Enflammées reviennent de leur prière, les Vieilles Torches cessent de s’injurier, les Petits Poulets se remettent tant bien que mal du cannibalisme du souper et les Olympiennes descendent de leur nuage avec Léa, leur mascotte peluchée, qui commence à prendre des notes.


La fin du mythe, par Léa Hétu

6:45

C’est la fin, l’atmosphère est fébrile. D’un côté, il y a ceux qui s’endorment. De l’autre, il y a ceux qui se sont revigorés au déjeuner, les vétérans de l’année passée, ceux qui sont habitués à travailler toute la nuit afin de compenser ce qu’ils ont négligé pour le matin suivant. Séparés en deux camps, les étudiants font le bilan de leur nuit. Pour tous, elle a été dure, nos mains se sont fait aller sans répit. Dominique Cornellier a fini son Odyssée sur une table, muni de café noir, pour rester bien éveillé. Avec lui, Frédéric Généreux observe les notes qu’ils ont prises, même s’il est clair qu’ils ont déjà fait leur choix. Les noms qu’ils énoncent résonnent sans vraiment surprendre qui que ce soit: Charles-Éric et William-Alexandre. Quand le texte de Charles-Éric, inspiré d’une oeuvre du musée, est déclaré gagnant, un tonnerre d’applaudissements retentit, digne de la caverne de l’Ismara. On sait déjà par quelle phrase la décision a été prise:

«Je t’ai cherché. J’ai creusé, fouillé pour te trouver. Tu étais minerai, dans le filon du destin.»

La diatribe de William-Alexandre fait écho au texte presque biblique de son camarade, avec ses mots longs et compliqués, trop pour ce début de matinée. Mais cela n’amoindrit en rien sa poésie et tous restent accrochés à ses lèvres lorsqu’il commence à lire:

«  Encore les gens

incapables

De remplir

Les ‟trous noirs de l’univers”

À Miron »

Les noms sont sortis, maintenant la file pour la table des prix avance lentement, presque religieusement, pour prendre connaissance des livres sacrés et des cartes menant à davantage de connaissances. Derrière les rideaux métalliques et poussiéreux, Hélios commence à nous éclairer de l’Olympe. Il est encore caché par de gros nuages cotonneux, timides. Quelques étudiants observent leurs nouveaux trésors, se les échangeant afin de faire le bonheur de l’un et de l’autre. La nuit s’achève sur du partage.

On quitte lentement la cafétéria secrète -celle des enseignants- qui est devenue les champs Élysées, le temps d’une nuit. Les couvertures éparpillées et les oreillers empilés forment encore quelques tas confortables, des croissants sont offerts, comme l’ambroisie qui réchauffe les âmes. Une reproduction de la corne d’abondance s’étend derrière les sacs des prophètes. Les cerveaux sont changés en bouillie, mais les sourires sont fiers et les yeux brillants de souvenirs. Les érudits quittent. Malgré les pertes minimes qui sont survenues au cours de la nuit dans les rangs des jeunes rhapsodes, les plus courageux sont restés affronter les cyclopes de l’imagination nocturne.