Critique de Ténèbre

Dans Ténèbre, Paul Kawczak raconte la colonisation par l’histoire de Pierre Claes, un géomètre belge qui, sous les ordres du roi Léopold II, doit découper à même la terre la carte de l’Afrique telle qu’elle a été tracée par les décideurs européens. Il fait la rencontre de Xi Xiao, un bourreau chinois spécialisé dans l’art de la découpe humaine et qui voit l’avenir, et en tombe amoureux lors des expéditions. Le racisme, la mutilation et l’érotisme font partie intégrante de ce récit d’aventures enlevant. 

L’auteur a définitivement saisi l’étendue de la nature humaine, de la douleur du deuil au sentiment de compétition, de la grandeur de l’amour au racisme le plus virulent. En mettant côte à côte la violence et la poésie, cette œuvre parvient à marquer les esprits. Ainsi, la douleur de Vanderdorpe lorsqu’il apprend que Manon Blanche, celle qu’il veut aimer depuis quatre ans, a un amoureux, est décrite poétiquement : « Vanderdorpe avait pleuré comme un enfant qui vient de perdre à un jeu. Parce que la vie était injuste, que tout bêtement, […], il venait de tout perdre et que se liquéfiait en ce début d’après-midi, en ce début de guerre, ce qu’il lui restait de mensonge et d’avenir. »

Si la longueur de certaines phrases peut rendre la lecture difficile, cela marque davantage la distinction entre ce type de phrases et celles qui, très courtes, parsèment le récit en amplifiant une impression de fatigue et de manque de souffle. On le constate lorsque Claes est atteint d’une intense fièvre : « La peur sourdait de ses pores, inondant les draps de fièvre et d’obsessions. Glaçant, cassant sa vie. Jusque dans les os. La réalité réalisée. L’angoisse. L’abandon. Jamais autant de mort, la rage d’une dent, d’un corps. Le mauvais goût de l’existence. »   

Somme toute, Ténèbre est une œuvre captivante qui mérite amplement d’être lue. L’authenticité des personnages et la présence du réalisme magique en font un livre à mettre dans toutes les bibliothèques.

Par Clarisse Mercedes Carrière