L’oxygène est en voie d’extinction

Aujourd’hui, c’est le grand jour pour Mélanie. Elle qui rêve de parler d’un sujet qui intéresse les gens depuis si longtemps. Être journaliste dans un monde en phase terminale, ce n’est pas facile, mais cette fois, c’est elle qui a le sujet le plus important de l’heure. C’est elle qui couvrira en direct la chute du dernier glacier sur Terre. 

Thomas tremble en lisant les nouvelles sur sa tablette. « Le monde se meurt. » Cela fait plusieurs décennies qu’on le lui répète et ça lui fait un poids dans l’estomac. Comment lui, un jeune homme de vingt ans, pourrait sauver tout le monde s’il est le seul à s’en préoccuper? En 2020, des spécialistes annonçaient de façon assez alarmante qu’il n’y aurait plus de glaciers en 2100 et que cela inonderait certaines régions du monde, mais aujourd’hui ils assistent au décès des glaciers. Ils n’en seraient pas là si les gens s’en étaient suffisamment préoccupés. Au lieu de ça, il est assis nerveusement devant sa tablette et il craint le pire, les larmes aux yeux. Le tas d’ongles à ses pieds ainsi que le pli entre ses sourcils en disent long sur ce qu’il ressent. 

Les gens à travers le monde sont installés devant leurs écrans, prêts à regarder ce désastre comme si ce n’était que cela, la catastrophe. Ils sont tous sur le bout de leur siège; c’est un évènement historique et ils espèrent que la fin du monde en restera là. Et si la catastrophe annoncée par tous s’arrêtait lorsque le dernier glacier disparaîtra à tout jamais? Au fond d’eux, tout comme Thomas, ils sont terrifiés. Ils se doutent que ça aura de grandes répercussions. Il y aura au minimum des inondations. Ils sont loin de s’imaginer que des milliers de personnes mourront aujourd’hui. Des familles seront séparées et d’autres n’auront plus de foyers s’ils ne meurent pas avec de l’eau dans leurs poumons. 

Mélanie panique et se tord les mains pour se délivrer de cette pression. Elle aussi craint le pire. Elle se doute que c’est parce que tous les autres journalistes plus connus étaient trop effrayés pour y aller qu’elle a eu ce sujet, mais elle n’avait pas le choix d’accepter. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre une telle opportunité.  

-Mesdames et messieurs, c’est un honneur pour moi d’être sur place aujourd’hui pour vous montrer l’évènement du siècle. Comme vous pouvez le voir, derrière moi se trouve le tout dernier glacier et, selon les prévisions scientifiques, il s’effondrera aujourd’hui même! Certes, c’est une révélation surprenante si l’on se souvient que ce n’était pas supposé se produire avant encore une dizaine d’années, mais c’est extraordinaire de pouvoir le vivre tous ensemble! Je vous souhaite donc un bon visionnement et on se retrouve très bientôt. C’était Mélanie Lagacé en direct des glaciers. 

Pendant ce temps, des chercheurs accompagnés de leurs réservoirs à oxygène parcourent ce qu’il reste de la Terre pour tenter de trouver la moindre évolution leur permettant de sauver le monde. Ils s’attendent plus que n’importe qui à ce que l’eau se déchaîne lorsque le malheur se produira, mais leur travail est trop important. Ils doivent continuer en tentant d’être aussi prudents que possible, bien qu’ils soient équipés en conséquence. Les chercheurs avancent lentement dans ce qu’il reste du Vietnam. Il a été inondé, il y a quelques années déjà, et toute la vie qu’on pouvait ressentir en y voyageant appartient désormais au passé.  

Alors que le survivant des glaciers s’effondre en direct dans toutes les maisons du monde, un des chercheurs vient de trouver un nouvel espoir et le tient entre ses doigts. À cet instant, ce n’est que ça, une plante, mais c’est quelque chose d’inattendu dans ce monde où les arbres se retrouvent plus souvent dans des musées que dans des forêts. Deux évènements historiques se produisent au même moment : la fin du monde et une découverte majeure qui permettra peut-être de le sauver. 

Le moment suivant, ce n’est que le désespoir et la peur qui subsiste. L’impact de la glace sur l’eau, déjà à un niveau critique, donne l’énergie suffisante à celle-ci de se déplacer violemment, emportant avec elle la vie de Mélanie et de ses collègues qui se trouvent sur place. L’eau infiltre les maisons déjà affaiblies par les inondations fréquentes et celles-ci s’effondrent selon le rythme que le glacier leur impose.   

Par Anne-Sophie Gagnon