Elle ouvre le coffre en faisant bien attention à ne faire aucun bruit. Son grand-père se tient tout près d’elle. La jeune fille regarde à l’intérieur du coffre et prend un des feuillets empilés dans celui-ci. Elle jette un regard à son ainé et se dirige vers lui.
— Regarde ce que j’ai trouvé, lance-t-elle en le feuilletant un peu. Elle tient dans ses mains un grand papier jauni par le temps.
— Hum… laisse-moi voir ça, dit-il en levant le nez de son livre. L’homme dépose son roman sur une table près de lui et examine ce que sa petite fille a trouvé.
— C’est un journal, je crois… Comme ceux que tu avais avant la révolution? Je l’ai trouvé dans une grosse boite en bois où il y avait plein d’autres papiers comme celui-là, ajoute-t-elle en pointant l’endroit indiqué.
L’homme regarde dans la direction de la malle et voit qu’elle est bien ouverte. Ses yeux reviennent sur le journal. Une nostalgie amère apparait. Tous ces clichés d’une population éreintée. Tous ces diagrammes annonçant les nombreux décès. Tous ces mots criant à l’injustice.
— C’est effectivement un journal, ma puce, un de ceux qui ont relaté le changement de notre régime politique, lui confie-t-il lentement.
—Mais comment on en est arrivé là, grand-papa? Toutes ces photos sont… extrêmes? Qu’est-ce qui s’est passé il y a trente ans, demande-t-elle, hésitante.
—Une pandémie! Voilà ce qui est arrivé!
—Une pandémie? Comme la population mondiale au complet, s’exclame-t-elle, abasourdie.
—Une pandémie ma puce, rien de plus, rien de moins! Elle a tout causé, bouleversé et renversé sur son passage. Bien rapidement, tout s’est mis à changer, comme si le peuple n’était plus qu’une simple marionnette au service des plus puissants, répond-il de façon sèche. Notre changement de régime politique a été brutal et n’a épargné personne. Notre ancien gouvernement s’est tourné vers le parti unique. Un parti qui a le pouvoir d’un état. Un parti qui a le contrôle sur tout. Un parti qui a le pouvoir total. Avant la révolution, notre liberté importait autant que notre égalité. Aujourd’hui, tout le monde est égal, mais plus personne n’est libre, finit-il avec un rire jaune.
Il regarde sa petite fille, Une belle grande adolescente qui ne connait rien d’autre que son présent. Elle n’a jamais connu l’avant, mais seulement le difficile après. Cette pensée le peine, il aurait tellement souhaité qu’elle connaisse la joie de vivre qui grouillait dans son pays, il y a quelques décennies.
—Tu sais, quand la pandémie a frappé la population mondiale, nous avons tous paniqué, reprend-il, mais jamais personne n’aurait imaginé la suite des évènements. Notre gouvernement du moment a tout interdit ! Nous ne pouvions plus sortir de chez nous. De plus, si nous voulions travailler, nous devions prouver l’excellence de notre état de santé. En contrepartie, le gouvernement contrôlait plusieurs secteurs d’emplois et imposait allégrement des restrictions sur ceux qui voulaient démissionner. Le personnel de santé était dans un état lamentable parce qu’ils se faisaient persécuter à coup de menaces et de fausses promesses. Tout le monde vivait dans la peur, mais certainement pas celle de la pandémie. Nous craignions notre gouvernement. Il devenait de plus en plus contraignant et contrôlant, ne laissant qu’une faible marge de liberté au peuple. Il y a eu des grèves de syndicats et une révolution du système public. Notre société était en train d’imploser. Plus aucun pouvoir sur rien, le gouvernement raflait la mise.
L’homme prit une grande respiration. Ce n’était pas de bons souvenirs. Il ferme le journal, puis se met debout. Il se dirige lentement vers le coffre et y dépose les vieilles feuilles de papiers. Il jette un dernier coup d’œil et prononce tout bas le titre du document avant de refermer le couvercle.
—Septembre 2022, Le Québec Communiste.
Par Marie-Lous Lessard