Au pays d’Alice

C’est un vendredi soir, et Alice est couchée dans son lit, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Elle vient de manger tout rond le « brownie magique » que son ami Lewis lui a donné à l’école plus tôt dans la journée, en lui garantissant qu’elle allait « planer bin raide ». Autour d’elle, des vêtements, des papiers d’école froissés et des sacs de chips vides sont éparpillés. Pourtant, Alice se sent bien. Une fois que ses yeux sont fermés et que la musique retentit dans ses oreilles, elle se trouve transportée dans un ailleurs où elle n’a pas à réfléchir à l’école ou aux problèmes qu’elle a à la maison. Cet ailleurs est parsemé de vallées ensoleillées et de champs de fleurs, et Alice peut y faire tout ce qu’elle désire.  

Alors qu’elle se balade dans un champ de tournesols accompagnée de Nancy Sinatra qui lui chante joyeusement « I got some troubles but they won’t last, I’m gonna lay right down here in the grass … », elle est dérangée par des cris aigus. Son esprit revient à son corps et à sa chambre, et elle enlève ses écouteurs pour entendre sa mère et son beau-père se disputer agressivement. Elle renfonce rapidement ses écouteurs dans ses oreilles, comme s’ils étaient des conduits permettant de s’enfuir vers une autre réalité. Elle met sa main par terre et fouille à travers une pile de vêtements, pour mettre la main sur un livre : « Alice au pays des merveilles ». N’ayant pas lu le conte depuis longtemps, elle plonge dans sa lecture avec un grand sentiment de nostalgie. 

Avec l’appareil photo de son téléphone, elle regarde ses yeux. « Un peu trop rouges », elle se dit. « Et si Lewis m’avait donné une dose trop forte? ». Alors que l’anxiété commence à monter en elle, la mère d’Alice ouvre sa porte de chambre à la volée en lui criant des mots qu’elle n’arrive pas à déchiffrer : « ménage », « encore gelée », « bordel », … En panique, Alice a du mal à comprendre la situation. Les pensées se bousculent dans sa tête, alors que sa mère commence drôlement à ressembler à une reine rouge malveillante : « Pourquoi est-ce que la reine de cœur est dans ma chambre? ». Le tourbillon émotionnel qui se passe en elle l’immobilise, et sa chambre devient de plus en plus sombre. Des visages effrayants et un chat au sourire trop grand la regardent, et semblent lui chuchoter des mots : « fais attention », « trancher la tête », « défends-toi ». Alice a peur. Elle veut crier, mais rien ne parvient à sortir. « Tue-la, avant qu’elle te tue », dit un des visages. Alice pense comprendre : la reine qui se trouve devant elle veut lui couper la tête. Elle se jette sur elle, pensant sauver sa propre peau, et sombre dans la noirceur.  

Par Alice Violette

Critique de Chasse à l’Homme

C’est en 2013 que Sophie Létourneau se démarque avec son nouveau roman Chanson française, un roman inspiré de ses désirs et envies reliés à l’amour. En 2020, elle publie Chasse à l’homme, une autofiction qu’on pourrait presque qualifier de « suite » à Chanson française si nous nous fions à ce qu’elle-même explique : « La deuxième fois que j’ai écrit ce livre, il avait pour titre Chanson française. […] La troisième fois que j’ai écrit ce livre, il avait pour titre Chasse à l’homme. »  

Dans cette autofiction, Sophie Létourneau commence son histoire en expliquant qu’elle n’a jamais réellement été amoureuse et qu’elle n’a jamais réellement cherché à l’être, mais que maintenant qu’elle est proche de la trentaine, elle devait commencer à chercher plus sérieusement. Comme sa grand-mère, elle espérait tomber amoureuse d’un beau petit Français. Au bout d’un certain temps, elle va même rendre visite à une voyante afin d’être dirigée sur la bonne voie pour trouver l’homme de sa vie. Elle se rend d’abord à Paris pour trouver son petit Français, mais elle tombe sur un petit Japonais. Alors, elle décide de se rendre au Japon malgré qu’elle sait qu’elle rencontrera l’homme de sa vie au Québec.  

Il y a plusieurs aspects qui rendent cette lecture plus compliquée que d’autres, principalement à cause de la méthode d’écriture de l’auteure. Le récit est entièrement écrit par fragmentation et cette façon de construire une oeuvre peut donner l’impression que l’auteure passe constamment d’une idée à une autre sans réel fil conducteur. Nous pouvons prendre l’exemple des nombreuses fois où elle parle de quelque chose d’autre que cette fameuse chasse à l’homme qu’elle est censée entreprendre depuis le début du récit. En effet, elle divague de sujet en sujet sans jamais s’arrêter, elle passe de son mémoire à un diner au restaurant en une fraction de seconde. Il faut un certain temps pour s’adapter à sa façon d’écrire afin de ne pas se perdre parmi les fragments, qui mélangent autobiographe et essai.

Mais même si le style d’écriture peut sembler complexe à première vue, ce n’est pas vraiment le cas. En effet, nous savons dès le départ de quoi le livre va parler et cela peut grandement faciliter la lecture, car nous savons où nous nous dirigeons dans le récit.  

Par Carolane Clermont-De Foy

Les glissades

La cloche de l’école sonne. Les cours sont terminés pour la journée. Lili-Rose et Alice se dirigent vers le petit parc de la cour d’école. Papa et maman vont arriver bientôt, mais en les attendant, elles ont le temps d’aller s’amuser un peu. Lili est dans la glissade. Elle glisse et remonte aussitôt pour retourner glisser. Alice, elle, est un peu plus loin. Elle joue à la marelle avec une petite pierre qu’elle a peinte plus tôt dans le cours d’art. Lili glisse encore, mais cette fois, elle s’arrête et son regard se retrouve loin devant la clôture de l’école. Quelqu’un lui fait signe de venir. C’est peut-être papa! La petite part rejoindre l’homme, alors qu’Alice, chantonnant et sautillant sur l’asphalte colorée de craie, ne la remarque pas du tout partir. 

Lili-Rose – « Coucou Pa… Attends une minute, tu n’es pas mon papa, toi! » 

L’homme – « Bien sûr que non, mais j’ai remarqué que tu aimais bien jouer dans les glissades. As-tu envie de venir voir les énormes glissades que j’ai chez moi? » 

Innocente, Lili-Rose entre dans la petite voiture rouge derrière l’homme. 

La petite fille à lulus est heureuse. Elle a hâte de raconter à papa et maman que durant leur absence, elle a eu la chance d’aller visiter une maison remplie de glissades géantes de toutes les couleurs. La chance qu’elle a! Alice serait jalouse. 

Le trajet commence à être un peu long. Lili-Rose a eu le temps de voir au moins dix mille arbres avant d’enfin revoir une maison.  

Lili-Rose – « Est-ce qu’on arrive bientôt, monsieur ? Parce que papa et maman vont commencer à s’inquiéter si je ne suis pas là pour le souper. » 

L’homme – « Oui. » 

Le monsieur est un peu plus bête que tout à l’heure. Il ne parle plus et a un air féroce. Lili a moins envie de sourire, maintenant. 

La voiture s’arrête devant une maison bien plus petite que ce que Lili s’imaginait. Il y avait d’autres maisons autour bien plus belles. C’est bizarre. Lili descend de la voiture après que le monsieur lui ouvre la porte. Il lui dit de le suivre.  

En entrant dans la maison, ça pue la pourriture et tout est rempli de poussière. Il n’y a aucune couleur autre que du noir, du brun et du gris. L’homme demande à Lili de s’asseoir sur un banc déchiré. À côté d’elle, il y a une petite porte à peine plus grande qu’elle. Elle a l’air très vieille. Le bois a l’air d’avoir été rongé par les termites et la poignée qui était probablement autrefois dorée est maintenant brune et rouillée. 

Lili-Rose commence à avoir faim. Elle attend sur le vieux banc depuis au moins vingt minutes. Son ventre gargouille. Le monsieur l’appelle pour qu’elle vienne le rejoindre un peu plus loin dans la maison. Le couloir est sombre et les murs sont remplis de vieux tableaux poussiéreux. 

Elle arrive dans une petite pièce mal éclairée. L’ampoule clignote sans cesse. Elle voit une petite assiette sur laquelle il y a une tranche de pain et un peu de confiture à la fraise. Elle a le droit de la manger, mais elle doit retourner s’asseoir sur le banc.  

En s’assoyant sur celui-ci, Lili commence à se sentir mal à l’aise. 

Lili-Rose – « Est-ce qu’il y a vraiment des glissades ici, monsieur ? » 

L’homme hoche la tête et lui montre la petite porte de la main. 

L’homme – « Entre là! Elles t’attendent en bas. » 

La petite n’a plus du tout envie d’y aller. Cette porte, elle la regarde depuis de longues minutes et elle ne l’attire pas du tout. En plus, elle croit avoir vu quelque chose bouger à travers la petite craque sous la porte.  

Lili-Rose veut partir. Elle se dirige vers l’entrée, mais l’homme l’attrape par la main. Il la coince entre la porte et lui. Elle n’a pas le choix, elle doit entrer. 

Par Providence Dion

L’oxygène est en voie d’extinction

Aujourd’hui, c’est le grand jour pour Mélanie. Elle qui rêve de parler d’un sujet qui intéresse les gens depuis si longtemps. Être journaliste dans un monde en phase terminale, ce n’est pas facile, mais cette fois, c’est elle qui a le sujet le plus important de l’heure. C’est elle qui couvrira en direct la chute du dernier glacier sur Terre. 

Thomas tremble en lisant les nouvelles sur sa tablette. « Le monde se meurt. » Cela fait plusieurs décennies qu’on le lui répète et ça lui fait un poids dans l’estomac. Comment lui, un jeune homme de vingt ans, pourrait sauver tout le monde s’il est le seul à s’en préoccuper? En 2020, des spécialistes annonçaient de façon assez alarmante qu’il n’y aurait plus de glaciers en 2100 et que cela inonderait certaines régions du monde, mais aujourd’hui ils assistent au décès des glaciers. Ils n’en seraient pas là si les gens s’en étaient suffisamment préoccupés. Au lieu de ça, il est assis nerveusement devant sa tablette et il craint le pire, les larmes aux yeux. Le tas d’ongles à ses pieds ainsi que le pli entre ses sourcils en disent long sur ce qu’il ressent. 

Les gens à travers le monde sont installés devant leurs écrans, prêts à regarder ce désastre comme si ce n’était que cela, la catastrophe. Ils sont tous sur le bout de leur siège; c’est un évènement historique et ils espèrent que la fin du monde en restera là. Et si la catastrophe annoncée par tous s’arrêtait lorsque le dernier glacier disparaîtra à tout jamais? Au fond d’eux, tout comme Thomas, ils sont terrifiés. Ils se doutent que ça aura de grandes répercussions. Il y aura au minimum des inondations. Ils sont loin de s’imaginer que des milliers de personnes mourront aujourd’hui. Des familles seront séparées et d’autres n’auront plus de foyers s’ils ne meurent pas avec de l’eau dans leurs poumons. 

Mélanie panique et se tord les mains pour se délivrer de cette pression. Elle aussi craint le pire. Elle se doute que c’est parce que tous les autres journalistes plus connus étaient trop effrayés pour y aller qu’elle a eu ce sujet, mais elle n’avait pas le choix d’accepter. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre une telle opportunité.  

-Mesdames et messieurs, c’est un honneur pour moi d’être sur place aujourd’hui pour vous montrer l’évènement du siècle. Comme vous pouvez le voir, derrière moi se trouve le tout dernier glacier et, selon les prévisions scientifiques, il s’effondrera aujourd’hui même! Certes, c’est une révélation surprenante si l’on se souvient que ce n’était pas supposé se produire avant encore une dizaine d’années, mais c’est extraordinaire de pouvoir le vivre tous ensemble! Je vous souhaite donc un bon visionnement et on se retrouve très bientôt. C’était Mélanie Lagacé en direct des glaciers. 

Pendant ce temps, des chercheurs accompagnés de leurs réservoirs à oxygène parcourent ce qu’il reste de la Terre pour tenter de trouver la moindre évolution leur permettant de sauver le monde. Ils s’attendent plus que n’importe qui à ce que l’eau se déchaîne lorsque le malheur se produira, mais leur travail est trop important. Ils doivent continuer en tentant d’être aussi prudents que possible, bien qu’ils soient équipés en conséquence. Les chercheurs avancent lentement dans ce qu’il reste du Vietnam. Il a été inondé, il y a quelques années déjà, et toute la vie qu’on pouvait ressentir en y voyageant appartient désormais au passé.  

Alors que le survivant des glaciers s’effondre en direct dans toutes les maisons du monde, un des chercheurs vient de trouver un nouvel espoir et le tient entre ses doigts. À cet instant, ce n’est que ça, une plante, mais c’est quelque chose d’inattendu dans ce monde où les arbres se retrouvent plus souvent dans des musées que dans des forêts. Deux évènements historiques se produisent au même moment : la fin du monde et une découverte majeure qui permettra peut-être de le sauver. 

Le moment suivant, ce n’est que le désespoir et la peur qui subsiste. L’impact de la glace sur l’eau, déjà à un niveau critique, donne l’énergie suffisante à celle-ci de se déplacer violemment, emportant avec elle la vie de Mélanie et de ses collègues qui se trouvent sur place. L’eau infiltre les maisons déjà affaiblies par les inondations fréquentes et celles-ci s’effondrent selon le rythme que le glacier leur impose.   

Par Anne-Sophie Gagnon

Un diplôme pas comme les autres

Le 12 mars 2020, la vie du Québec en entier s’est mise sur pause. Les commerces et les magasins ont fermé, même les écoles, et tout cela, à cause d’un satané virus, la COVID-19. C’est un véritable chaos. Bien que toute la population soit touchée par cette terrible pandémie, les étudiants ont traversé beaucoup d’épreuves. Ils ont manqué énormément de journées d’école, ont dû apprendre à utiliser des applications totalement inconnues comme Teams ou Zoom et tout cela, aux dépens de leur réussite. La pandémie est vécue différemment pour chaque degré de scolarité. Les écoles primaires et secondaires ont la chance, ou la malchance, d’être dans leur école du lundi au vendredi. Finalement, les étudiants du Cégep et de l’Université peuvent aller dans leur établissement scolaire selon leur horaire et leur programme, mais une grande majorité n’ira jamais durant leur session. Par exemple, ma cohorte en littérature, durant mon passage au Cégep de Lanaudière à Joliette, a eu des cours en présentiel durant seulement une session et demie, le reste de notre parcours scolaire s’est fait entièrement de la maison, à travers un ordinateur et une caméra. Mais notre diplôme aura-t-il la même valeur que nos prédécesseurs? Certainement pas!   

Tout d’abord, tous les étudiants, comme moi, qui sont entrés au Cégep en 2019 et ont eu un parcours assez typique, n’ont pas eu à faire l’Épreuve uniforme de français au Cégep. Pour certains, c’est à leur grand soulagement. Pour les étudiants qui poursuivent à l’Université, ceux-ci auront à faire un nouvel examen universitaire, car ils n’ont pas fait ledit examen au Cégep. Cela explique donc que le diplôme n’est pas équivalent à celui des étudiants précédents, car ils devront passer un nouvel examen, mais à l’Université. Est-ce que la difficulté de l’évaluation sera supérieure ? C’est une autre question qu’il faudrait se poser.  

Ensuite, durant cette pandémie, l’école se fait totalement à distance pour plusieurs étudiants du Cégep. Mais est-ce que les apprentissages sont aussi concrets ? Je ne croirais pas. Premièrement, il est assez difficile de s’organiser dans un mode d’apprentissage en ligne. Il y a des semaines où ce sont des cours en mode synchrone, asynchrone et des cours pour les évaluations. Cela est très complexe pour un étudiant qui est habitué à seulement se déplacer, à l’école, tous les jours de la semaine. Maintenant, il doit vérifier s’il doit se connecter à une vidéoconférence ou si une vidéo du cours lui sera envoyée par l’enseignant. D’ailleurs, selon moi, ces cours appelés asynchrones sont beaucoup moins efficaces. Il est très facile de perdre le fil et de ne pas comprendre ce qui est enseigné. De plus, pour les étudiants un peu plus paresseux, le principe de pouvoir visionner le cours lorsque cela lui plait peut totalement nuire à ses apprentissages, voire même le faire échouer, car la tentation de ne tout simplement rien regarder est très forte.   

Finalement, un des plus gros enjeux avec un « diplôme Covid-19 » est que la majorité des évaluations se déroulent dans le confort de la maison. Cependant, à la maison, il est beaucoup plus facile d’avoir accès à notre meilleur ami, l’Internet. Les examens ne sont alors plus représentatifs des apprentissages des étudiants, mais bien de ce que l’Internet sait, ce qui est totalement ridicule. Par exemple, le matin, un étudiant a un cours à 9h. Il est très facile pour lui de se lever à 8h50, d’allumer son ordinateur portable ou son cellulaire et, comme un paresseux, de se connecter à son cours et de retourner dans les bras de Morphée. Oui, c’est de la responsabilité de l’étudiant d’être alerte, mais quelques fois, le sommeil l’emporte. De plus, ce n’est pas tout le monde qui a l’espace à la maison pour apprendre. Beaucoup peuvent avoir des petits monstres qui courent partout et qui peuvent les déranger. Ce n’est pas facile, dans ces moments, d’être attentif. Bref, l’éducation à la maison, ce n’est vraiment pas l’idéal et elle peut forcer certains à tricher pour réussir.  

En conclusion, je crois sincèrement que les étudiants qui ont, ou auront, un diplôme durant les années 2020 et 2021 n’auront tout simplement pas les mêmes acquis que ceux qui ont réussi dans les années précédentes. Bien que cette pandémie ait réussi à organiser certains, je pense que ceux ayant acquis un diplôme préuniversitaire vont peut-être éprouver des difficultés lors de leur entrée à l’Université.   

Par Gabrielle Côté

Lucidité tragique

Je ressens ses effets dans l’entièreté de mon corps, augmentant fortement ainsi que rapidement, progressant davantage chaque jour, se frayant un douloureux chemin, de mes frêles orteils, à mes sourdes oreilles. La vieillesse. Nul ne m’a avertie et on ne m’a pas préparée à cette épreuve, la toute dernière d’une longue série qui s’est jouée de moi, m’a affaiblie. Ce corps fragile qui est le mien me brime de la liberté dont je profitais jadis et m’oblige à m’éloigner de moi-même. C’est ce détachement dissociant mon esprit lucide de mon état physique irrécupérable qui aujourd’hui me condamne à rester ici, dans cette triste maison, et partout où je pose mon regard, mon sort me frappe au visage comme un boomerang qui ne cesse jamais de revenir. Cette résidence n’arrête point de me crier combien je suis vieille et faible et tous ces gens que je côtoie, ces personnes âgées qui ne sont en fait que mon pathétique reflet, me rappellent que la fin approche et que la détérioration est inévitable. À 85 ans, la plupart des gens craignent la mort, alors que d’autres mettent cette peur de côté et tentent de profiter des derniers instants qu’ils qualifient de précieux et de rares. Je ne m’identifie à aucune de ces personnes puisqu’il m’est impossible de profiter de quoi que ce soit dans cet état physique déplorable qui me consume et également parce que le trépas, au point où j’en suis, ne me semble pas si désolant. 

Le fait de mourir est-il si bouleversant, alors que selon moi, ce que je vis est bien pire? Ma mobilité est réduite, même m’exprimer s’intensifie en complexité. La mort me semble paisible, voire facile. Bien qu’ils me désolent, j’envie presque quelques-uns de ces vieillards. C’est ma conscience qui de plus en plus me déprime. Eux n’ont pas tous un esprit lucide comme le mien. Bernard, lui, oublie tout ce qu’on lui dit dans la minute où on se risque à le faire. J’envie Bernard. Cette perte de mémoire qui lui joue des tours comporte certains bénéfices. Bernard ne se souvient peut-être point de la consigne que lui a donnée l’intervenante, mais il n’a également pas connaissance du récent décès de sa femme. Bernard n’est peut-être pas au courant des dernières nouvelles, mais il n’a pas non plus conscience de sa dégradation corporelle. Bernard ne sait probablement pas qu’il se prénomme ainsi, tant il ne connait pas sa nièce Adèle, atteinte d’une leucémie chronique. La maladie d’Alzheimer serait pour moi une issue à cette assiduité cognitive, cette présence d’esprit qui me rappelle constamment l’affaiblissement de mon corps et les nuisances physiques qui en ressortent. Dans tous les cas, qu’ai-je à perdre? Je n’ai plus rien, ni personne. Je me suis déjà en partie perdue. 

Mon corps se meurt, mais mon esprit demeure agité. C’est comme s’il me laissait tomber. Je souhaite parfois ne pas avoir cette notion de la connaissance de ma condition. Je voudrais ne pas réaliser dans quel état je suis, ce qui m’attend. J’aimerais sortir de cette prison constituée de mes bras, de mes jambes, ainsi que de tout ce qui me compose. Je brûle de ne plus penser, de ne plus me souvenir. J’ai envie de ne plus rien ressentir. Ma lucidité est ma réelle faiblesse. Elle me blesse plus que mon manque de vigueur physique. C’est elle qui me fait mal, qui m’achève. Je désire en finir. Je rêve de tranquillité. Je ne veux plus raisonner, je ne veux plus vieillir.   

Par Alicia Arcand

Un simple journal

Elle ouvre le coffre en faisant bien attention à ne faire aucun bruit. Son grand-père se tient tout près d’elle. La jeune fille regarde à l’intérieur du coffre et prend un des feuillets empilés dans celui-ci. Elle jette un regard à son ainé et se dirige vers lui. 

— Regarde ce que j’ai trouvé, lance-t-elle en le feuilletant un peu. Elle tient dans ses mains un grand papier jauni par le temps. 

— Hum… laisse-moi voir ça, dit-il en levant le nez de son livre. L’homme dépose son roman sur une table près de lui et examine ce que sa petite fille a trouvé. 

— C’est un journal, je crois… Comme ceux que tu avais avant la révolution?  Je l’ai trouvé dans une grosse boite en bois où il y avait plein d’autres papiers comme celui-là, ajoute-t-elle en pointant l’endroit indiqué. 

L’homme regarde dans la direction de la malle et voit qu’elle est bien ouverte.  Ses yeux reviennent sur le journal. Une nostalgie amère apparait. Tous ces clichés d’une population éreintée. Tous ces diagrammes annonçant les nombreux décès. Tous ces mots criant à l’injustice. 

— C’est effectivement un journal, ma puce, un de ceux qui ont relaté le changement de notre régime politique, lui confie-t-il lentement. 

—Mais comment on en est arrivé là, grand-papa? Toutes ces photos sont… extrêmes? Qu’est-ce qui s’est passé il y a trente ans, demande-t-elle, hésitante. 

—Une pandémie! Voilà ce qui est arrivé!  

—Une pandémie? Comme la population mondiale au complet, s’exclame-t-elle, abasourdie. 

—Une pandémie ma puce, rien de plus, rien de moins! Elle a tout causé, bouleversé et renversé sur son passage. Bien rapidement, tout s’est mis à changer, comme si le peuple n’était plus qu’une simple marionnette au service des plus puissants, répond-il de façon sèche. Notre changement de régime politique a été brutal et n’a épargné personne. Notre ancien gouvernement s’est tourné vers le parti unique. Un parti qui a le pouvoir d’un état. Un parti qui a le contrôle sur tout. Un parti qui a le pouvoir total.  Avant la révolution, notre liberté importait autant que notre égalité. Aujourd’hui, tout le monde est égal, mais plus personne n’est libre, finit-il avec un rire jaune. 

Il regarde sa petite fille, Une belle grande adolescente qui ne connait rien d’autre que son présent. Elle n’a jamais connu l’avant, mais seulement le difficile après. Cette pensée le peine, il aurait tellement souhaité qu’elle connaisse la joie de vivre qui grouillait dans son pays, il y a quelques décennies. 

—Tu sais, quand la pandémie a frappé la population mondiale, nous avons tous paniqué, reprend-il, mais jamais personne n’aurait imaginé la suite des évènements. Notre gouvernement du moment a tout interdit ! Nous ne pouvions plus sortir de chez nous. De plus, si nous voulions travailler, nous devions prouver l’excellence de notre état de santé. En contrepartie, le gouvernement contrôlait plusieurs secteurs d’emplois et imposait allégrement des restrictions sur ceux qui voulaient démissionner. Le personnel de santé était dans un état lamentable parce qu’ils se faisaient persécuter à coup de menaces et de fausses promesses. Tout le monde vivait dans la peur, mais certainement pas celle de la pandémie. Nous craignions notre gouvernement. Il devenait de plus en plus contraignant et contrôlant, ne laissant qu’une faible marge de liberté au peuple. Il y a eu des grèves de syndicats et une révolution du système public. Notre société était en train d’imploser. Plus aucun pouvoir sur rien, le gouvernement raflait la mise. 

L’homme prit une grande respiration. Ce n’était pas de bons souvenirs. Il ferme le journal, puis se met debout. Il se dirige lentement vers le coffre et y dépose les vieilles feuilles de papiers. Il jette un dernier coup d’œil et prononce tout bas le titre du document avant de refermer le couvercle.  

—Septembre 2022, Le Québec Communiste. 

Par Marie-Lous Lessard

Apprendre en temps de pandémie

Depuis l’année dernière, l’enseignement à distance est de mise. Certains étudiants y rencontrent des difficultés, des avantages ou les deux.  

Les cours en ligne nous ont sauvés et nous ont permis de continuer à apprendre, même en pandémie. Cependant, est-ce que ça fonctionne vraiment, cette façon de faire? Il y a deux sessions, je faisais des cours de statistique. J’étais en train de faire mes exercices de mathématiques et j’avais une tonne de questions. J’étais en train de paniquer comme une petite souris coincée dans une trappe. Mon enseignante n’était pas disponible en tout temps pour répondre à mes messages, mais peut-on réellement la blâmer? Je sais qu’en classe, elle m’aurait répondu avec plaisir et je ne me serais pas sentie coincée très longtemps. Cependant, l’enseignement à distance permet aux élèves de développer leur sens de l’organisation afin de s’assurer qu’ils auront le temps de poser leurs questions. Nos parents ne nous obligent pas à nettoyer la maison parce qu’ils ne savent pas le faire eux-mêmes, mais parce qu’ils veulent qu’on sache comment le faire par nous-mêmes plus tard! Aussi, plus tu avances tes études, moins on te tient par la main.  

Il va sans dire que l’enseignement à distance apporte de nombreuses possibilités, comme la flexibilité de l’horaire. Personnellement, je peux me permettre de travailler plus souvent étant donné que les cours ne se font pas nécessairement en mode synchrone. Je peux donc organiser mon horaire en fonction de ce qui m’avantage. Aussi, les déplacements pour aller au cégep ne sont plus nécessaires. On y gagne du temps d’étude et de l’argent! 

Cependant, travailler sur un ordinateur où les sources de distractions n’en finissent plus peut être difficile pour la concentration. C’est comme demander à un enfant de ne pas manger son repas préféré placé juste devant lui. En plus, une fois que les devoirs sont terminés, on ne peut voir personne, alors on reste sur nos écrans pour se divertir. Ces outils technologiques sont toujours là à nous hypnotiser et nous en sommes bien heureux. À cause de ces appareils, les contacts sociaux sont quasiment inexistants. Pas étonnant que la santé mentale des étudiants dépérisse! On devient une horde de zombies et la motivation n’est plus là. En revanche, n’avait-on pas déjà des élèves décrocheurs et subissant des symptômes de dépression avant que les écoles ferment? N’avions-nous pas déjà également un manque de professeurs et d’outils technologiques? L’éducation avait besoin d’une réforme et voilà que tous ses problèmes sont exacerbés et mis de l’avant avec l’enseignement à distance. Alors, le problème serait peut-être plutôt le système d’éducation actuel au Québec et les enseignants mal payés pour leur profession admirable.  

« Chaque difficulté rencontrée doit être l’occasion d’un nouveau progrès », a dit Pierre de Coubertin. L’école à distance n’a pas nécessairement rendu l’apprentissage plus difficile qu’il ne l’était déjà avant la pandémie. Ce serait là l’occasion parfaite pour essayer de modifier le fonctionnement de l’éducation au Québec. Pour y arriver, il faudrait prendre exemple sur les meilleurs systèmes d’éducation, comme celui de la Finlande. Ce pays propose l’apprentissage par le jeu, un bon ratio élèves /enseignants, la nourriture gratuite à tous les niveaux et une grande disponibilité de ressources pour les élèves en difficulté. 

Par Sabrina Bleau

Le Bonhomme à ses heures de pandémie

Reportage sur la réalité des créatures légendaires à l’ère de la COVID-19

Par Flavie Caron-Leblanc

Mercredi soir dernier, à Rimouski, Rose Latulipe est portée disparue alors qu’elle était sortie de son domicile passé l’heure du couvre-feu. La jeune fille de 18 ans aurait été aperçue pour la dernière fois sur la rue des Marguillers. Aucun indice n’a permis aux enquêteurs d’identifier son ravisseur, à l’exception d’une petite traînée de sable laissée à l’endroit où la victime se serait volatilisée…  

Eh oui! Après une pause que l’on croyait définitive, le Bonhomme Sept Heures reprend du service. Ce sinistre personnage s’est remis à rôder à travers tout le Québec et est désormais résigné à apporter sa contribution en ces temps de pandémie. «Pour une fois que la situation m’avantage, je ne vais quand même pas me gêner!» se réjouit l’être maléfique.

Préconisant les secteurs où le couvre-feu a lieu à 8h, il enchaine les dénonciations et les enlèvements de citoyens récalcitrant aux nouvelles mesures émises par la santé publique. «Les affaires n’ont jamais aussi bien roulé depuis la mise en application du couvre-feu. J’ai presque doublé mon chiffre d’affaires!» s’exclame monsieur Sept Heures.

Ayant reçu tout récemment ses nouveaux permis d’enlèvement de la FDDQ (Fédération des légendes du Québec) le Bonhomme Sept Heures a maintenant l’autorisation de sortir de chez lui quand bon lui semble pour avertir et faire disparaitre tout être humain âgé entre 2 et 78 ans.

Cette nouvelle acquisition de responsabilités ne fait, cependant, pas l’unanimité au sein de la population des villes entourant Québec. À Boischatel, quatre individus ont tenté de manifester leur mécontentement en allant se promener près de la chute Montmorency autour de 2h du matin. Leurs proches affirment n’avoir jamais reçu de leurs nouvelles depuis cette soirée-là.

Sur Facebook, plusieurs groupes haineux (tels que C’pas à Sept Heures qu’ça s’passe) ont vu le jour depuis que le professionnel des enlèvements est retourné à ses actifs. «Sous ma dernière publication, qui valorisait la délation entre voisins, j’ai reçu beaucoup d’insultes», dénonce l’être surnaturel. Des communautés complotistes ont également pris en cible le Bonhomme Sept Heures en tentant de se convaincre de son inexistence. «Vous savez, quand je lis ces théoriciens qui prétendent que je n’existe pas, je ris doucement», dit le Bonhomme d’un ton amusé.

Après plus de 1900 ans de carrière, le Bonhomme n’est pas près de prendre sa retraite. Chaque soir, c’est plus de 666 cas d’enlèvements d’enfants dont il est responsable. «C’est sûr, avec la gestion des différents couvre-feux par région, je dois relever de nouveaux défis, mais j’aime mon métier quand même», concède-t-il pendant une réunion Zoom.

Le Bonhomme Sept Heures a à cœur les enlèvements qu’il effectue, et il n’hésite pas à recourir aux grands moyens lorsque cela est nécessaire. «La plupart de mes victimes que je rencontre dans les parcs sont des adolescents, mais il peut m’arriver de tomber nez à nez avec un adulte au détour d’une rue, d’un trottoir, ou autres. Généralement, je leur envoie une ou deux poignées de sable dans les yeux et l’affaire est dans le sac», explique la créature. Malgré toutes les épreuves auxquelles il fait face au quotidien, monsieur Sept Heures reste serein quant à son avenir. «Évidemment, le couvre-feu prendra fin un jour. […] Je ne sais pas ce qu’il adviendra de moi une fois que la pandémie sera réglée, mais ce que je sais c’est que, même avec les vaccins, il y aura toujours des petits monstres qui seront prêts à arrondir mes fins de mois», témoigne-t-il avec un brin de fierté.

Critique du Mammouth

Nikita Zynchuck, surnommé « Le Mammouth », est immigrant et chômeur. Il est tué par balle en mars 1933 par un policier dans la rue à Montréal. Plusieurs témoins racontent ce qu’ils ont vu ce jour-là. Dans une atmosphère de révolte et de frictions multiculturelles, la population assiste aux funérailles de la victime et au procès du policier innocenté.  

Saupoudrée d’articles de journaux de l’époque, l’œuvre de Pierre Samson nous fait revisiter les anciens commerces de la métropole, elle nous replonge également dans l’ambiance de la crise économique par les thèmes abordés : la pauvreté et les inégalités sociales, l’immigration, le syndicalisme, le communisme, le racisme, et la brutalité policière.  

On sent la volonté qu’a l’auteur de nous raconter le passé afin d’expliquer le présent. C’est une façon de montrer d’où on vient pour expliquer la petite route qu’on a parcourue en près d’un siècle.  

La formule du livre fait penser au classique Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García MárquezD’abord un fait divers méconnu, ensuite la fragmentation du récit à la manière d’un roman choral qui relate un même évènement à travers le témoignage de différents témoins.  

Ce roman est imposant par sa grosseur, sa lourdeur, ses lenteurs et ses touffes de descriptions détaillées à l’approche sociologique et à l’esthétique réaliste.  Le roman de Pierre Samson porte bien son titre, Le Mammouth est le résultat d’un travail de recherches historiques minutieux et ambitieux, qui a toutes les caractéristiques de la bête qu’il représente. Le texte est dense et intéressant et le style à la Márquez lui donne une touche littéraire. Une œuvre impressionnante qui demande une lecture attentive et sérieuse, un apprentissage de nos racines sociales et politiques.  

Par Marie-Pier Beaunoyer