Minuit intime

Les Grands Connes au pays de l’autofiction, par William-Alexandre Ross

Il est temps de nous diriger vers un local du cégep dont l’aura est assez puissante pour nous faire apprendre activement : la salle d’apprentissage actif. Nous sommes escortés par les gourous de la secte littéraire de minuit : Louis Cornellier, Roxanne Bouchard, et Mathieu Payette, ainsi que leur laquais, Raphaël Desroches.

Dans la salle se trouve, debout sur son piédestal, Véronique Marcotte, femme de lettres, de récit et d’autofiction. Louis Cornellier s’empresse de s’asseoir au fond de la salle, les yeux lourds : son couvre-feu de 20h30 était déjà passé depuis beaucoup trop longtemps. Mais le sujet, qui demande de fouiller dans notre mémoire, est tenace : on semble voir, dans ses yeux rêveurs, le souvenir des belles années de sa jeunesse.

Je m’assois avec  mon équipe supposément forte et intelligente, les Grands connes. Tout de suite, nous sommes plongés dans un profond enthousiasme à l’écoute de Véronique Marcotte, qui s’empresse de nous raconter avec humour et joie ce qu’on doit mettre dans un récit d’autofiction. Exagérer est bon, c’est ce qu’il faut pour capter l’attention du lecteur, parce qu’une simple virée au dépanneur n’a rien de véritablement intéressant. Il faut magnifier la chose. Le « je » est primordial pour intégrer un rapport personnel à l’œuvre. L’anecdote est le cœur du jeu, mais toutes ne sont pas aptes à devenir littéraires. Elle enchaîne avec le sujet de la peur, en nous racontant une anecdote qu’elle a déjà insérée dans l’un de ses livres, à propos d’un voyage en Haïti qui aurait mal tourné.

Véronique nous demande d’écrire un texte qui s’inspire à la fois du réel et du mensonge. Les Grands connes semblent tourner autour du pot : Charles-Éric continue de parler de ses amours passées de bar, je continue de manger des bonbons à la pêche en essayant toujours de convaincre mes compatriotes que Hochelagurls n’est pas un bon recueil de poésie. Maxime et Samy-Kim me demandent de me la fermer et Emy essaie d’écrire l’exercice demandé.

Véronique nous laisse la parole. Elle demande aux lettrés de conter une histoire qui nous est déjà arrivée et qui nous a fait peur. Léa, dont les souvenirs reviennent d’un coup, ne peut garder cela en dedans. D’un bond, elle se lève et nous ébranle tous en nous révélant la terrible histoire de son frère qui lui a lancé un ballon à la figure. Sonnée, elle se rassoit doucement, le nez qui saigne encore après tant d’années.

Le moment venu de lire les textes, Roxanne Bouchard, femme d’une autorité extrême qu’elle est, crie « Hey! Ho! Hm! Hm! Debout! » à tous ceux et celles qui ne lisent pas debout. Ses petits cris secs réveillent Louis Cornellier, au fond de la salle, qui s’était endormi, rêvant d’un idéal poétique. De son côté, Mathieu Payette, ricaneur de personnalité, semble se dire qu’il ne succombera pas, lui, à la tentation d’aller sommeiller.

Les textes sont tous bons, sauf, bien entendu, celui de mon équipe. Si, au moins, on ne s’était pas attardés sur les bonbons, les mauvais recueils de poésie et les mauvais gars de bar, on aurait pu faire un bon récit.

L’activité finie, nous remercions Valérie Marcotte et nous quittons la salle, en prenant bien soin de ne pas faire trop de bruit pour Louis Cornellier qui s’est rendormi, et nous fermons la lumière. Par surprise, je constate que Mathieu Payette n’est plus avec nous : cet homme, en qui nous avions confiance, est parti dormir lui aussi!

La salle aux perles, par Marie-Soleil Tousignant

Après l’activité sur le mensonge vient l’heure de vérité. Il est minuit, l’heure où la lune est à son zénith et où les véritables visages sont démasqués… Minuit cinq pour être exact. William-Alexandre, toujours sous l’influence des pêches en gélatine peine à rester en place, ce qui lui vaut un ou deux feulements de la part de la maîtresse de la théâtralité, Renée Gaudet. Nous nous réunissons dans la Grotte (le fameux D-213 ou la «salle du conseil»). Renée nous invite alors à aller chercher les photos de nous à l’âge de douze ans, qui sont disposées sur une table qui rappelle plus un autel qu’autre chose, où sont posées des peluches géantes. Nous savons à quoi nous attendre, nous allons devoir écrire à nous-mêmes, et ce, à l’ancienne. Il s’agit littéralement d’un exercice de correspondance, nous devons donc prendre en compte tout ce qu’implique la  correspondance avant l’ère du numérique: l’écriture à la main, le papier à lettres et surtout l’attente et l’incertitude. La personne à qui on écrit va-t-elle lire la lettre? Quand va-t-elle la recevoir? Va-t-elle la recevoir? Cela cause inévitablement une certaine angoisse, mais le simple fait d’écrire est libérateur.

Soudainement, William-Alexandre s’empare d’un des toutous. Il ne faut pas beaucoup de temps à certaines pour fondre en larmes à cause de l’enlèvement. Trois professeurs et l’intervention du gardien sont nécessaires pour arriver à récupérer la peluche en un seul morceau avant que Renée ne puisse offrir généreusement des tournées de câlins.

Vient le moment où l’on nous propose de lire nos lettres à nous-mêmes. Certains y vont avec humour et autodérision (nous pouvons ici nommer Alexia, William-Alexandre et Charles-Éric) alors que pour d’autres, le sérieux était de mise. Avec cette atmosphère chargée en émotions parfois contradictoires, quelques hypersensibles ont été incapables de contenir leurs larmes. Quant à moi, pleurant comme une madeleine, j’ai réussi à déclencher des pluies de petites perles dans les yeux de mes collègues. Malgré le torrent de nostalgie et de tristesse qui les engloutissait, tout un chacun a su faire preuve de compassion, de respect et d’amour, si bien qu’il ne s’est jamais donné autant de câlins qu’en cette petite heure.

On a tous une histoire à raconter

Voyage au cœur du siècle, par Valérie Lajeunesse

8h15 : Les équipes sont complétées, les noms sont trouvés et la poésie est dans le tapis. L’heure est venue de découvrir la première conférence. Direction la bibliothèque, au local d’apprentissage actif, où nous attendent nos professeurs accompagnés d’une femme.  

Elle se nomme Mélanie Loisel. Née à Fermont, dans le nord du Québec, elle entretient dès sa jeunesse une passion pour le journalisme, qu’elle étudie à Montréal. C’est une série de bouleversements dans sa vie, dont la perte d’un emploi et son retour au célibat, qui la pousse à se lancer dans un projet qui lui trotte dans la tête depuis un certain temps: aller à la rencontre de personnalités qui ont « vécu le siècle ». Elle rédige donc une lettre dans laquelle elle demande un entretien afin de poser trois questions: quelles leçons tirez-vous de votre expérience? Comment voyez-vous le monde aujourd’hui? Quel est votre message pour la jeunesse? C’est grâce à ces trois simples questions qu’elle a réussi à rencontrer 62 personnes qui ont marqué le XXe siècle et a donné naissance au livre Ils ont vécu le siècle, de la Shoah à la Syrie. Mélanie nous raconte les improbables entrevues qu’elle a menées avec, entre autres, le petit-fils de Gandhi et Kim Phuc, petite fille dont la photo a fait le tour de la planète lors de l’attaque au napalm pendant la guerre du Vietnam. Le groupe d’étudiants n’ose pas un son, obnubilé par les histoires atypiques des personnalités décrites. C’est Roxanne Bouchard qui brise la glace, et questionne en rafale la journaliste. 

Pendant cette série d’entrevues, Mélanie rencontre également Martin Gray, homme au destin tragique qui a perdu sa première famille lors de la Deuxième Guerre mondiale, puis sa seconde dans un incendie. Son histoire possède une telle profondeur que l’écrivaine décide d’en faire un seul livre, Ma vie en partage. Fidèle à son angle d’approche, elle oriente M. Gray, âgé de 92 ans lors de la parution du livre, vers un discours plutôt actuel.  

Notre conférencière termine en nous parlant de son tout dernier livre, Ma réserve dans ma chair, l’histoire de Marly Fontaine, artiste autochtone qui, dans le cadre de son projet final à l’université, s’est fait tatouer un numéro, qui représente l’entité qu’elle est pour le gouvernement canadien.  

C’est tout empli de mille et une histoires que le groupe reprend la direction du quartier général faire le plein de caféine avant le retour à la bibliothèque. 

Difficile, l’autofiction, par Maude Dulong

Dans la bibliothèque, tous sont assis. Catherine Asselin, responsable-chef de l’activité, nous explique son contenu. Il s’agit d’un atelier d’autofiction qu’elle illustre à partir de l’extrait d’un roman. Les explications terminées, elle nous laisse à la rédaction de notre autofiction: nous devons raconter un moment embarrassant.

Certains sont assidus dans leur écriture, le café ayant fait l’effet escompté, d’autres sont en retrait, bavardant ou tout simplement absents de la salle. Le cliquetis d’un appareil photo se fait entendre sans arrêt. Les élèves se font mitrailler par la lueur du flash d’un appareil photo sans qu’ils puissent rien y faire. Les responsables de l’atelier tentent tant bien que mal de rassembler tout le monde, mais rien n’y fait. Seule l’équipe des Olympiennes écoute les consignes, allégeant la tâche des professeurs.

Quelques minutes passent, Les Olympiennes ont toutes terminé, sauf une qui désespère à trouver l’inspiration.   Les autres équipes, elles, grouillent un peu partout. La voix de Catherine leur sonne l’alarme ultime : « Il ne vous reste que dix minutes à la rédaction ! » La panique nous gagne.

Tous accourent à leur chaise, crayon en main et cerveau en marche. Il ne reste plus qu’à se plonger dans l’intériorité, à enclencher la méditation précipitée, en priant pour que nos textes aient du sens. L’autofiction n’est pas simple pour tous, raconter une histoire embarrassante, c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout pour ceux et celles qui sont plus discrets.

Les minutes s’écoulent, les élèves sont dans une course contre la montre. Tous se lancent des regards inquiets, commettant des erreurs de français plus ridicules les unes que les autres. L’heure fatidique arrive finalement, le temps a cessé de tourner. Tous attendent leur tour de honte, qui se lancera en premier ?

Une fille de l’équipe Olympienne se lève, son texte bien droit dans ses mains pourtant tremblotantes. Personne ne sait si elle a décidé par elle-même ou si c’est les membres de son équipe qui l’ont envoyée directement dans la fosse aux lions. Le photographe est prêt, l’appareil est dirigé pour capturer tous ces moments embarrassants.

La lecture se déroule bien, quelques petits éclats de rire nerveux sortent et tous se sentent un peu plus à l’aise. L’équipe des Petits Poulets amorce la lecture de son texte, le rire de chacun se fait de plus en plus fort. Les Grands Connes suivent et réussissent à faire tomber le peu de gêne qui restait dans la salle.

Pendant ce temps, Hugo, le photographe, ne sait plus où donner de la tête, trop de propositions photographiques lui viennent à l’esprit. Les Vieilles Torches mettent le feu à la pièce tandis que les Enflammées, elles, éteignent le tout avec une histoire de drain de piscine.

L’activité se termine avec un torrent de rires tandis que, dans un coin de la salle, Hugo est accroupi, cherchant toujours LA photo qui rendrait le mieux sa gloire.

À l’aube de la poésie

La poésie de l’intertextualité, par Roxanne Gagné

Jacques Peter, Jacques Peter, Jacques Peter est un osti d’bon joueur de poker.

Ainsi finit la dernière chanson de Fred Beauchamp. Cet être féérique était venu nous détendre pendant une bonne heure avec son instrument et sa voix. Il était maintenant temps pour lui de quitter la place. Celui-ci, guitare à la main, fée énergique parmi une nuée de morts-vivants, remercia le public en lançant une poudre magique qui en saisit plus d’un. Les ressuscités, se rendant compte qu’un nouvel atelier commençait, se levèrent péniblement de leurs tapis enchantés.

Cinq minutes plus tard, un loup-garou joyeux du nom de Frédéric Généreux apparut devant nous à travers une diffusion de lumière bleu et rouge kaléidoscopique. Généreux était le meilleur ami du lapin blanc qu’on nommait Dominique Corneillier. Depuis leur rencontre, il créa nombre de recueils de poésie ensorcelés. À partir de ce moment, nous sûmes que nous étions pris à construire un poème.

Le loup lut durant vingt minutes des textes de différents auteurs mages. Grunge, Tatamie, Jacques Parizeau… les noms mystérieux se multipliaient. Tout à coup, son ami le lapin blanc demanda à Généreux la définition de l’intertextualité. Celui-ci, voyant un défi de la part du petit mammifère, décrivit en long et en large ce qu’il en était.

Après avoir répondu à la question, l’immense canidé discuta avec les élèves du thème du sang, des vagues et de l’hiver. Ces thèmes étaient des éléments très importants des textes qui avaient été lus. C’est pourquoi il posa des questions aux apprentis .Charles-Éric et Camille, un duo de dragons érudits, répondirent brillamment.

Suite aux réponses des élèves, le loup-garou fit jouer, grâce à un objet électrique, des chansons venues d’outre-terre pour appuyer ses propos. L’une d’elles du nom d’« entre les vagues » était chantée par une sirène du nom de Kouna. La voix était étrange, les instruments hypnotiques. Tout à coup, la musique s’arrêta et deux phrases dites rapidement sortirent du néant. La moitié des étudiants n’avait rien compris.

-Prenez un livre !

Nous obéîmes sans réflexion. Heureusement, les 12 étudiants de deuxième année, faits de la plus solide des pierres précieuses, réussirent à comprendre le travail et à le commencer. Choisissant un vers dans un livre, ils l’utilisèrent pour créer leurs propres formules.

Le temps écoulé, les champions commencèrent à lire leurs poèmes. Ils étaient fabuleux. Le loup donna ses compliments à Charlotte l’elfe, car elle avait su faire une poésie très intimiste de sa chambre à coucher. Il félicita aussi William le nécromancien, qui avait fait ressusciter les mots de ses poèmes. D’autres champions écrivirent d’excellents textes. Les lettreux étaient maintenant prêts à aller à leur prochaine destination.

Poésie du quotidien, par Claire-Hélène Piuze
 

Transition traînante.

Les heures s’effilochent. Notre prochaine destination est le centre d’aide en français. Il est cinq heures du matin et c’est notre deuxième activité de poésie. Certains d’entre nous se plaignent. Ils manquent de jus poétique.
Des étudiants de lettre qui se font corriger leur français, c’est humiliant, mais c’est possible.

On se fait corriger de bien belle manière par François Rioux, un poète avec une voix chaude, qui nous donne envie de dormir en ronronnant. Nous l’écoutons parler de sa poésie du quotidien. Celle qui éveille nos sens à tous les jours.

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un Cégep vide? Une gagne de poètes en pyjama.

Qu’y a-t-il de plus délectable qu’un café ? Charlotte, la main tremblante, nous affirme que rien ne saurait l’égaler.

Qu’y a-t-il de plus rassurant que le bruit de la ventilation ? les chansons de Fred Beauchamp.

Nous tentons de nous émerveiller de ce qui nous entoure sous les regards de jugement de Dominique Corneillier. Il a revêtu un chapeau pour se protéger de la lune et vient faire le contrôle de notre poésie de somnambule.

William-Alexandre, de son côté, écoute avec le plus fort de ses sens, celui qui même en situation de crise demeure, le sens de l’adoration de Dominique Corneillier. Il met au monde un poème hommage à Miron qui critique les cellulaires. Monsieur Corneillier approuve, des clins d’œil sont échangés, William fera de beaux rêves.

Nous avons à peine le temps de remercier M. Rioux pour la beauté de sa voix et celle de ses poèmes que le soleil, timide mais présent, nous indique que l’épreuve est presque terminée. Notre sensibilité, éveillée par l’introspection que nous a demandé la nuit, embellit les couleurs du matin.

En sortant de la bibliothèque, on croise deux amoureux endormis. La tête appuyée sur l’épaule de son copain, Roxanne, une de nos femmes de lettres, nous présente à nouveau un exemple de poésie de l’intime, de poésie du quotidien.


Une fin grandiose

Dans’ graisse de bines, par Charles-Éric Gaudreau Lepage

5 :40

« Hey patate ! ils ont donc b’in les yeux dans ‘graisse de bine eux autres ! »Voilà ce que Claire-Hélène aurait dit si elle avait été narratrice. Elle n’aurait pas eu tort. Les littéraires viennent de terminer l’activité de poésie au CAF. L’espoir d’une fin proche était nourri par le Soleil qui venait, de peine et de misère, de se lever. Ah non, la peine et la misère, c’est les élèves. Cette étape marque le digestif avant les dernières étapes de la Nuit. Parlant de bouffe, les étudiantes se dirigent justement vers la cafétéria du personnel, à l’auuuuuuuuuuuuutre bout du cégep, pour s’empiffrer comme des défoncés avec un bon déjeuner. En gros, parce que c’est meilleur quand c’est gros comme on dit, des bananes, des muffins pis du café.

5 :50

Bref, le déjeuner fut succulent. Savoureux. Faste. Moelleux. Délectable. Ô que ce fut mangeable ! Mais pas vraiment revigorant. Endormies par intermittence, des personnes commencent à partir. Elles sont peut-être rassasiées par l’universalité littéraire atteinte durant cette délicieuse nuit, elles sont peut-être repues, mais ce n’est pas fini, c’est un trois services ! Alloo-oooo ! Même William-Alexandre n’est pas mort cette année. GRANDS CONNES ! vous hurlerait-il avec un fond de gentillesse, encouragé par Valérie, la Matante de tous. Après tout, conclure avec deux activités de poésie, n’est-ce pas là la cerise sur le gâteau ? La consécration ultime ? L’apothéose ? Faut croire que non, puisque les étudiantes de première année sont presque toutes parties en piochant du bon manger, au grand dam des finissantes et des professeurs.

6 :00

Dominique Corneillier, qui nous nous fit grâce de sa présence dès l’activité de Frédéric Généreux vers 4 :00, semblait fraîchement arrivé d’un défilé de mode ou d’un plateau, non pas de hors-d’œuvre, mais de télévision. Il invite son collègue à le rejoindre à sa table pour diriger les ordalies décisives.

Sonne alors le glas du destin.

Les Grands-Connes trébuchent et se regroupent, les Enflammées reviennent de leur prière, les Vieilles Torches cessent de s’injurier, les Petits Poulets se remettent tant bien que mal du cannibalisme du souper et les Olympiennes descendent de leur nuage avec Léa, leur mascotte peluchée, qui commence à prendre des notes.


La fin du mythe, par Léa Hétu

6:45

C’est la fin, l’atmosphère est fébrile. D’un côté, il y a ceux qui s’endorment. De l’autre, il y a ceux qui se sont revigorés au déjeuner, les vétérans de l’année passée, ceux qui sont habitués à travailler toute la nuit afin de compenser ce qu’ils ont négligé pour le matin suivant. Séparés en deux camps, les étudiants font le bilan de leur nuit. Pour tous, elle a été dure, nos mains se sont fait aller sans répit. Dominique Cornellier a fini son Odyssée sur une table, muni de café noir, pour rester bien éveillé. Avec lui, Frédéric Généreux observe les notes qu’ils ont prises, même s’il est clair qu’ils ont déjà fait leur choix. Les noms qu’ils énoncent résonnent sans vraiment surprendre qui que ce soit: Charles-Éric et William-Alexandre. Quand le texte de Charles-Éric, inspiré d’une oeuvre du musée, est déclaré gagnant, un tonnerre d’applaudissements retentit, digne de la caverne de l’Ismara. On sait déjà par quelle phrase la décision a été prise:

«Je t’ai cherché. J’ai creusé, fouillé pour te trouver. Tu étais minerai, dans le filon du destin.»

La diatribe de William-Alexandre fait écho au texte presque biblique de son camarade, avec ses mots longs et compliqués, trop pour ce début de matinée. Mais cela n’amoindrit en rien sa poésie et tous restent accrochés à ses lèvres lorsqu’il commence à lire:

«  Encore les gens

incapables

De remplir

Les ‟trous noirs de l’univers”

À Miron »

Les noms sont sortis, maintenant la file pour la table des prix avance lentement, presque religieusement, pour prendre connaissance des livres sacrés et des cartes menant à davantage de connaissances. Derrière les rideaux métalliques et poussiéreux, Hélios commence à nous éclairer de l’Olympe. Il est encore caché par de gros nuages cotonneux, timides. Quelques étudiants observent leurs nouveaux trésors, se les échangeant afin de faire le bonheur de l’un et de l’autre. La nuit s’achève sur du partage.

On quitte lentement la cafétéria secrète -celle des enseignants- qui est devenue les champs Élysées, le temps d’une nuit. Les couvertures éparpillées et les oreillers empilés forment encore quelques tas confortables, des croissants sont offerts, comme l’ambroisie qui réchauffe les âmes. Une reproduction de la corne d’abondance s’étend derrière les sacs des prophètes. Les cerveaux sont changés en bouillie, mais les sourires sont fiers et les yeux brillants de souvenirs. Les érudits quittent. Malgré les pertes minimes qui sont survenues au cours de la nuit dans les rangs des jeunes rhapsodes, les plus courageux sont restés affronter les cyclopes de l’imagination nocturne.

Premiers pas dans la nuit

Nos attentes, par Christina Champagne

Encore cette année a eu lieu la 4e édition de cette nuit blanche tant attendue : la nuit de la littérature. Ces douze heures productives où alterneront ateliers d’écriture, conférenciers, pauses collation et un moment de répit tout en musique en feront nuit pleine d’imagination. Le thème qui teintera cette fois-ci nos textes hauts en couleur au fil des heures sera l’intime.

Ce thème peut être traité selon divers aspects. Il y a l’autofiction où à partir d’un souvenir on intègre une fiction qui amplifie ce dernier. Ensuite, il y a la correspondance, la poésie et l’érotisme. À mesure que le temps passe, la fatigue va se refléter sur nos textes. Qui sait ? Nous dévoilerons peut-être nos secrets les plus intimes? Nous sommes fébriles à l’idée de commencer cette nuit. Quels conférenciers seront présents? Qui animera les ateliers au courant de la nuit. Surtout, quel professeur aura le courage de braver la tentation du sommeil avec nous? Qui flanchera?

On va voir qui sont les couche-tôt et les oiseaux de nuit. Pour ma part, je suis une couche-tard, donc je n’ai pas de problème à ne pas dormir ou, du moins, j’aurai moins de difficulté à rester éveillée. Ma crainte est plutôt le manque d’inspiration plus la nuit sera avancée. Par contre, j’ai hâte de voir le style d’écriture des étudiantes de première année et l’imagination qu’elles ont.

Il est presque l’heure de se rendre à la cafétéria des professeurs. Nous allons devoir être en équipes. Nous faisons des provisions de sucre, enfilons des vêtements confortables. Nous marchons tranquillement vers le point de départ. Armés de nos stylos, enroulés dans notre doudou, nous sommes prêts à entamer les 12h de littérature.

Au lieu de rendez-vous, tout le monde jase. On est excité de se retrouver. L’impatience monte au sein du groupe. Elle monte en moi aussi, je me demande ce qu’on va faire.

La première création

Par Charlotte Bergeron

À 18h30 je débouche mon crayon, c’est le temps de prendre des notes pour me rappeler de la prochaine heure et demie. Mes neurones semi-endormis (parce que, quand même, j’étais au cégep aujourd’hui) ont tout à coup mal aux yeux par l’entrée remarquée de père et matante, arrivés tout droit de l’Albion. Ces deux-là ont pris très au sérieux le concept de déguisement en fonction de notre surnom dans le groupe : lunettes fumées, perruque, attitude, la totale. Le choc passe. Ça sent le poulet.

Clic clic, je ressors ma mine. Oui, mes mains sont propres, il y avait une lingette dans l’emballage à ustensiles. Le groupe est rassasié et désaltéré, les profs ont pensé à tout. Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Malaise. Ils sont presque tous partis fumer, les autres, je ne les ai jamais rencontrés.

« Oyez, oyez! »

J’entends le prof qui chante, il faut s’approcher. On nous explique la prochaine activité : faire des équipes. Donc là, si je comprends bien, tu me demandes d’intégrer les étudiantes de première année. Intégrer? D’accord, alors moi c’est Charlotte, enchantée.

On y arrive, c’est lent, mais ça se passe, on crée des groupes de quatre. Il y a des rires à ma gauche, tiens, ceux-là s’amusent. Je me tourne vers mon équipe, maintenant c’est nous qu’on entend. Ça va passer vite, Charlotte, t’as déjà du fun.

Vient le temps de se définir, de se donner une identité, parce que : qui fait des équipes sans nom d’équipe? Nous nous sommes donc tous présentés, en tant qu’équipes, par un nom, un auteur et une citation d’une qualité digne de notre parcours en lettres.

Voici le résultat :

Les Ti-poulets ont choisi Patrice Lessard comme auteur et déclarent : « Là je suis vraiment occupé, pis c’est le bordel chez nous! »

Les Enflammés élisent Victor Hugo et se représentent par la phrase : « T’as des rondeurs de croissant au beurre. »

Les Vieilles torches s’associent au grand Michel Tremblay et poussent leur concept avec l’affirmation : « Vulgaire jusqu’au trognon. »

Les Grands connes, plus littéraires, désignent Nelligan à leur tête et ne vivent que pour crier : « Vive le Québec libre! »

Finalement, les Olympiennes, qui rétablissent l’équilibre avec leur délicatesse plus évidente, choisissent Homère et articulent gracieusement : « Une pièce sans livre c’est comme un corps sans âme. »

Satisfaits de nos nouvelles identités, nous prenons une première tasse de café (qui sera suivie par beaucoup d’autres) en préparation à la prochaine activité.