Les villes de papier

Les villes de papier est un roman, fruit du travail et de la passion de Dominique Fortier pour Emily Dickinson. Celui-ci mêle la biographie et la fiction, inspiré de la vie de la poète étatsunienne. Bien que le quotidien de cette légende de la littérature soit relativement mystérieux et difficile à retracer, Fortier y taille une Emily fort convaincante grâce à son imagination fertile et vivante.

Emily Dickinson est un personnage cloîtré depuis des années dans sa chambre de la demeure familiale à Homestead. Elle a fait le choix de la sédentarité depuis longtemps et consacre sa vie à l’écriture.


« Maintenant, qu’elle a retrouvé la demeure de son enfance, elle est bien déterminée à ne jamais quitter-et la demeure, et l’enfance. » « […] elle songe que, de tous les membres de sa famille, celui qu’elle préfère, c’est peut-être bien la maison. »

Emily Dickinson écrit beaucoup malgré que peu de ses poèmes n’aient été publiés. Elle a une étroite relation avec ses livres et elle se construit un monde entre les quatre murs de sa maison. Son confinement affecte néanmoins ses relations sociales.


« [quand] un visiteur se présente, il arrive bien qu’elle le reçoive, mais derrière une cloison. Il s’assied sur une chaise dans la chambre déserte, elle prend place de l’autre côté de la paroi, et chacun parle au mur. »

Une des caractéristiques incontournables de l’œuvre est sa structure fragmentée. L’auteur alterne entre la narration à la troisième personne, lorsque est raconté la « vie » d’Emily, et à la première personne, quand la narratrice parle de sa propre vie. Il s’agit d’une série d’anecdotes qu’a vécues ou qu’aurait pu vivre Emily, en plus de réflexions qui auraient éventuellement pu germer dans son esprit. La narratrice met en parallèle sa vie et celle de la poète, très différentes l’une de l’autre, mais toutes deux avec une quête : trouver leur chez-soi.

Cependant, bien que le concept soit une bonne idée, les chapitres narrés à la première personne sortent un peu trop du lot et on entrevoit un possible lien qu’à la fin. Il y a trop d’éléments qui viennent entraver notre intérêt pour le destin de la narratrice.

Les métaphores et les comparaisons avec la nature se retrouvent abondamment dans le roman, à l’image des « mauvaises herbes » cultivées par Dickinson. Chaque élément qu’il est possible d’imager l’est :


« Susan a une peau de porcelaine, la bouche ronde et rouge comme une cerise, des boucles folles qui dansent autour de ses joues. »

On s’imagine bien cette Susan sublime, mais de telles stratégies esthétiques tout au long du roman peuvent rapidement lasser. Trop de poésie gâche la poésie comme les ronces un jardin.

Par Charles-Éric Gaudreau Lepage et Christina Champagne


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Querelle de Roberval

Le roman Querelle de Roberval, de Kevin Lambert,  est pour le moins intrigant. Ce qu’on croit d’abord être un roman syndicaliste réaliste se transforme en carnage avec des scènes empruntées à la tragédie grecque. L’auteur sculpte un roman coup de poing, écrit dans un style très provocateur.

Ce roman social nous présente des grévistes d’une scierie de Roberval qui sont en colère contre leurs patrons, les Ferland. Cette manifestation deviendra rapidement très violente. L’auteur met en lumière la réalité de ces grévistes, leurs problèmes et leurs idéologies.

Le roman mélange deux thématiques qui ne semblent avoir aucun lien ensemble, soit la sexualité homosexuelle et le monde du travail. Le personnage principal, celui dont le roman porte le nom, ce Querelle, est l’incarnation des deux, soit un être très sexué et un employé de la scierie en grève.

L’auteur fait aussi un parallèle saisissant entre les rapports de forces présents dans le système capitaliste et dans les rapports sexuels qu’il décrit. Dans chacun des cas, c’est une relation entre dominant et dominé : « […] ils ne sont jamais assez remplis de lui [..] restant éternellement là, dans son lit, à portée de son gland, anticipant le moment où brusquement il bande et doit se mettre, en devenant sa pute, sa chienne… » Querelle est le mâle dominant par excellence. Comme les patrons de l’usine, il a de beaucoup d’emprise sur un grand nombre de personnes. Dans les deux milieux, le dominé connait son rôle et se fait « enculer », pour reprendre le terme du livre, par celui qui le domine, au sens propre et au sens figuré.

On retrouve la thématique, présentée de manière encore plus crue avec trois jeunes bandits, qui sont complètement à l’écart de la société, en dehors de ses luttes syndicalistes: « [il] s’installe, à plat ventre et les jambes ouvertes, prêt à recevoir ses boys. Toute la nuit, les deux autres rempliront de leur sperme brûlant et sa gorge et son cul. » Ils vivent sans morale, ils sont les oubliés, les rejetons de la société.

Querelle de Roberval crée une habile confusion et déstabilise le lecteur. Par exemple, l’auteur jongle entre la narration directe, indirecte et indirecte libre d’une telle façon qu’il est impossible de distinguer les paroles de l’auteur des paroles des personnages. Il joue aussi sur la position qu’on doit prendre par rapport aux grévistes en empruntant un ton ironique : «Faire le récit des aléas d’une lutte syndicale a pu donner à madame la lectrice ou à monsieur le lecteur l’impression d’un parti pris du texte en raison d’une empathie trop grande envers les grévistes. Or la position défendue par le livre se veut claire : l’entrepreneuriat est le génie de notre époque.»

Malheureusement pour le reste du livre qui a beaucoup de qualités, la fin est douteuse, grotesque et surréaliste. Le livre tombe dans l’absurde et c’est beaucoup trop éclaté pour le récit de grévistes terre à terre qu’est le début du livre : « Côte à côte, sur un feu de bois immense, ils (le patron et sa femme) grillent depuis plusieurs heures. Judith a préparé elle-même la marinade – en diluant la sauce barbecue du Costco avec du vin et un peu d’eau -, qu’elle verse sur leur peau croustillante à mesure que la cuisson avance. » Ça donne l’impression que l’auteur a voulu faire un récit réaliste, mais a changé d’idée en cours de route pour écrire une histoire d’horreur. Le début et la fin sont mal agencés.

Pour conclure, avec son roman enrobé de beaucoup de provocation, Kevin Lambert, pour le moins qu’on puisse dire, n’épargne en rien le lecteur en testant constamment sa tolérance.

Par Charlotte Bergeron et Claire-Hélène Piuze

Créatures du hasard

Dans son récit Créatures du hasard, Lula Carballo écrit une ode à sa grand-mère. Originaire de l’Uruguay, elle met sur papier les souvenirs de son enfance passée dans son pays d’origine. L’écrivaine plonge les lecteurs dans l’univers de la petite Lula. Sa vision du monde est ainsi mise de l’avant. Dans le récit, les personnages féminins dominent. D’ailleurs, les titres des chapitres en témoignent: «Fille», «Fille-mère-fille» et «Grand-mère-fille». 


«Léo m’envoie jouer à la Quiñela. Je mise une grosse somme sur le 227, une autre sur le 342 et je garde ce qui reste pour un troisième numéro. Je choisis le 216, jour et mois de ma naissance. L’épicier me laisse faire, même si je suis mineure. Léo est une bonne cliente. Il ne soupçonne guère que la maladie familiale se propage dès le plus jeune âge.»

L’addiction aux jeux de hasard est un sujet omniprésent du récit. En effet, obsédées par les paris, les machines à sous et les roulettes, les femmes répandent cette dépendance de génération en génération. Lula porte un regard plutôt neutre sur les femmes qui l’entourent tout en gardant un œil critique et mature face à celles-ci. Elle sait pertinemment qu’elles ne sont pas des modèles à suivre, mais passe outre puisqu’elle les aime.

Tout comme dans Le grand cahier d’Agota Kristof, la jeune fille négligée qu’était Lula Carballo passe des cafards aux poux pour partager son ancienne réalité crue en démontrant bien la pauvreté qu’elle a vécue. Elle raconte en détails l’environnement défavorisé dans lequel elle a grandi et il transparaît bien. En découvrant l’univers de son enfance, on se sent irrémédiablement attiré par ce monde sale et si différent de notre réalité. La chaleur transposée et la puanteur des décharges de poubelles s’établit de façon significative. Elle réussit à nous transporter dans un pays étranger pour nous faire vivre dans un lieu bien loin du notre.

Entre les bonbons Candel et les poupées aux expériences capillaires hors de l’ordinaire, il est évident que la place de la grand-mère est moindre dans les intérêts de la narratrice. Elle apparaît trop sporadiquement pendant les deux premières parties du livre et c’est dommage. L’auteure nous présente ses souvenirs à la manière d’une personne qui fouille dans une boite à chaussures, en ressortant une à une des photos et des babioles de son enfance. Il est donc à nous, lecteurs, de trouver lesquels de ces brins de souvenirs sont essentiels à la compréhension et au déroulement du récit.

Le roman se termine avec une scène touchante, où pour la première fois, la narratrice dévoile ses émotions. Elle pleure la mort de sa grand-mère, ses souvenirs avec elle, les danses folles dans la vieille maison et les leggings mauves éclatants, déchaînant sa peine contre la porte condamnée de ce qui a été son endroit préféré. Bien que cette scène soit convenablement réussie, cela ne rachète pas le manque de substance qui hante l’ensemble du roman.


«Rien ne peut m’empêcher que je me défoule contre la porte de Régina. Je veux danser. Je veux qu’on s’enlace. Les yeux fermés, je veux chanter mes hommages au toréador mort dans l’arène.

Quelqu’un m’éloigne de la porte.»

Par Maude Dulong, Marie-Soleil Tousignant et Samy-Kim Bertrand

Ce qu’on respire sur Tatouine

Auteur: Jean-Christophe Réhel.

Ce qu’on respire sur Tatouine, de Jean-Christophe Réhel, aborde les thèmes de la maladie et de la solitude à travers les yeux d’un narrateur atteint de fibrose kystique, qui n’est pas plus charmant que sa maladie. Le lecteur assiste à sa lente déchéance en suivant son rejet progressif de toute relation humaine. Travaillant tour à tour dans un bureau de renseignements touristiques, un magasin de chaussures et un super C, passant d’un appartement à une chambre de sous-sol de Repentigny, nécessitant l’aide de sa petite sœur new-yorkaise sans cesse, le narrateur se dégage peu à peu du monde des adultes. L’irresponsabilité dont il fait preuve, rappelant l’adolescence, le pousse à prendre de mauvaises décisions, comme acheter un masque d’Halloween plutôt que de payer son loyer, ou vomir un surplus de crème de menthe sur les murs d’une chic maison américaine. Plus la maladie prend de l’ampleur, plus le personnage semble incapable de prendre sa vie en main et devient négligent. Ainsi, des symptômes inquiétants, tels des crachats ensanglantés, sont relégués au second plan de ses préoccupations.

L’auteur nous offre certes une vision intéressante d’une maladie qui, bien que connue, nous reste mystérieuse. Toutefois, son personnage manque de mordant, il nous manque quelque chose à quoi nous accrocher pour nous permettre d’apprendre à l’aimer. Par ailleurs, Ce qu’on respire sur Tatouine est comme la grotte d’Ali Baba avec une quantité impressionnante de références à la culture populaire, de Star Wars à Rihanna, en passant par les White Stripes. On ne peut qu’applaudir l’auteur pour son habileté, bien que la culture québécoise manque à l’appel. Les liens étranges apportés par ces références nous permettent au moins de nous amuser à certains moments: «Je suis Mystique, j’enlève ma jaquette, je me transforme en Leonardo DiCaprio. » Tous ces clins-d’oeil, combinés à l’humour de Réhel et aux phrases très brèves, voire infantiles, donnent au récit un débit rapide et permettent une lecture aisée sur un thème aussi sombre que la fibrose kystique. Par contre, cet humour a ses limites. Voir le narrateur s’imaginer être George Clooney alors qu’il se fait observer le postérieur est certes hilarant, mais pour que ça le reste, il aurait fallu que l’auteur utilise cette technique avec parcimonie.

Malgré un personnage piteux et des événements répétitifs, le récit est bien tissé. Réhel nous offre une vision originale d’une maladie dont on entend le nom de plus en plus souvent. Le lecteur devra cependant rester bien éveillé pendant la lecture, sinon il peut rapidement se perdre dans la multiplication des références culturelles.

Par Léa Hétu et Valérie Lajeunesse

Boisé littéraire 

Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 2018

Titre : De bois debout

Auteur : Originaire de La Tuque, Jean-François Caron est l’auteur de plusieurs romans dont Rose brouillard, le film(2012) et Nos échoueries (2010). De bois debout est son troisième roman publié par les éditions La Peuplade. Il a aussi écrit de la poésie, dont le recueil Des champs de mandragoresen 2006. Il est rédacteur en chef de L’Unique, le journal de l’Union des écrivains et écrivaines québécois. Il demeure actuellement à Ste-Béatrix et est camionneur.

Résumé :  De bois debout raconte l’histoire d’Alexandre, un jeune homme qui a vu son père mourir à la suite d’une maladroite poursuite policière. Il trouve ensuite refuge chez Tison, un homme solitaire et isolé. La première partie de l’action se déroule à Paris-du-Bois, où le jeune Alexandre a été élevé par son père dans le but de devenir un « vrai homme ». La seconde se passe en ville, où le personnage principal, devenu adulte, consacre sa vie aux livres et tente de se retrouver lui-même.

Propos : Dans De bois debout, il est question d’une recherche de l’identité à travers les deuils et les embûches qui surviennent au cours d’une vie. Jean-François Caron montre qu’il est possible de survivre grâce à la littérature.

Points forts : 

  • L’oeuvre est touchante et traite de sujets importants, comme le deuil et l’héritage. Le père transmet à son fils son désir de participer au monde dans le but de lui apprendre la vraie vie.

  « T’es un homme, alors tu te tais. Tu te tais, et tu apprends.» (p. 51)

  • L’utilisation d’éléments stylistiques propres au théâtre ou au journal intime (comme la façon d’introduire les voix ou de présenter la mémoire d’Alexandre), nous permet de bien comprendre les pensées du personnage et d’être empathiques face aux événements vécus.

« Résigné, il me dit seulement d’une voix éteinte que « quand on te paie pour une job, tu fais ce qu’on te demande ». Il est sale, mais il est toujours debout.» (p.113)

  • L’auteur a une très belle plume et amène beaucoup de métaphores et d’allégories liées à la forêt.

 « Les racines, c’est fort. Ça tient un arbre debout longtemps après sa mort.» (p.388)

Points douloureux :

  • Le lecteur est séduit parce qu’il réussit à deviner les mystères du livre et à prévoir les chutes, mais l’intrigue est maladroite et le rythme est décousu. Par exemple, quand Alexandre arrive chez Tison à la suite de la mort de son père, il oublie presque complètement celle-ci en apercevant la bibliothèque de l’inconnu.
  • Le style est cacophonique, car il y a beaucoup d’éléments qui nous font oublier le sujet principal de l’oeuvre. On a tendance à croire que l’auteur explique son livre dans les paroles des personnages.

« N’oublie pas le silence, Alexandre, il fait partie de l’histoire, lui aussi. » (p.115)

Est-ce que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens?

Selon nous, De bois debout a sa place parmi les finalistes, puisqu’il traite de sujets qui intéressent notre génération et que ce roman met beaucoup l’accent sur la littérature. Par contre, nous ne croyons pas qu’il mérite de gagner, car il y a trop d’éléments qui nous font douter de la logique du propos: ça parle de quoi? Qu’est-ce qu’on en tire? Nous avons de la difficulté à répondre à ces questions.

Notre groupe attribue au livre une note  6.15/10

PHOTO: ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE 

 

 

 

 

 

 

 

 

Citations préférées :

«Je suis morte déjà. T’aurais pas un livre, quelque part, qui pourrait encore me faire vivre ? » (p.272)

« La mer ne parle pas. Il faut la deviner. Et, dans la chambre, il y avait une mer, soudain, qui agitait ses draps blancs dans un creux d’horizon. Marianne. Marie-Lune. Dans la marée montante du silence. » (p.260) 

PAR

Alex Laviolette
Coralie Dunn
Catherine Villeneuve
David Hétu

Au grand soleil cachez vos filles: du bonbon libanais

Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 2018

Titre : Au grand soleil cachez vos filles 

Auteur : Abla Farhoud est une auteure, dramaturge et actrice québécoise. Originaire du Liban, elle a passé dix-neuf ans au Québec, mais est retournée vivre là-bas de 1965 à 1969. Puis, elle a étudié le théâtre à l’Université de Vincennes, à Paris. Elle demeure au Québec depuis 1973. Depuis 1990, elle se consacre à temps plein à l’écriture. Elle a écrit plusieurs pièces de théâtre, dont Les Filles du 5-10-15¢ (1993) et Jeux de Patience (1997). En 2017, elle a publié son cinquième roman, Au grand soleil cachez vos filles

Résumé : Dans les années ’60, les membres de la famille Abdelnour retournent vivre au Liban, après être demeurés plusieurs années au Québec. Ils débarquent à Sin el Fil, avec l’espoir de retrouver un pays que plusieurs d’entre eux considèrent comme le plus beau du monde. Les parents ont six enfants, dont quatre sont adultes. Ils doivent tous se soumettre aux valeurs traditionnelles du Liban et s’adapter à un mode de vie différent de celui qu’ils ont connu à Montréal. Les Abdelnour connaîtront ainsi un destin sinueux, car leurs rêves dépasseront leurs possibilités: ils devront se conformer aux coutumes, se rebeller ou quitter le pays.

Propos : L’oeuvre illustre la culture ultra-conservatrice du Liban de cette époque. L’auteure fait le constat d’une société rigide, en mettant en scène une famille victime de son pays natal.

Points forts :

  • Le roman fait découvrir au lecteur le Liban des années ’60 et son contexte socio-historique difficiles. Même si l’histoire met l’accent sur certains aspects négatifs de ces coutumes contraignantes, l’auteure décrit avec brio les décors exotiques du Liban, qui transportent le lecteur dans ce pays flamboyant. Le lecteur a donc l’impression de visiter un autre monde à travers les mots de Farhoud.

« Sin el Fil, un quartier du sud-est de Beyrouth grouillant de vie, plein de soleil, de poussière, de bruits, de cris […] des automobiles cabossées ou rutilantes roulant à toute vitesse, des chariots poussés par des vendeurs ambulants chantant leurs produits à pleins poumons […] petit poème pour la casserole à vendre et un plus beau encore pour le couteau » (p.9)

« Il faut bien que j’admette que mon père n’a pas exagéré: le soleil, les plages, les gens, si serviables, si gentils! » (p.35)

  • Tout au long du récit, la diversité des perspectives des personnages rend la lecture fluide et agréable. Par exemple, dans chaque chapitre, le Liban est vu différemment par les yeux d’Ikram, d’Adib ou de Faïzah, ce qui amène un contraste très intéressant entre les pensées des protagonistes.

« Chapitre 4: Ikram, la deuxième fille Abdelnour. Papa a raison: le Liban, c’est le plus beau pays du monde. » (p.35)

« Chapitre 5: Adib. Je déteste ce pays, ce pays qui m’a haché menu, ce pays qui m’a ôté d’un coup ma jeunesse, ma candeur, ma joie. » (p.39)

Point douloureux :

  •  Les personnages qui sont présentés dans le récit sont nombreux: les liens familiaux sont complexes à saisir au début, ce qui rend le lecteur confus et nuit à la lecture. Cette confusion est accentuée par le fait que le temps est mal établi dans l’histoire; plusieurs semaines peuvent passer entre les chapitres, sans que cela soit mentionné.

« Je vis avec ma femme, mes deux fillettes, ma mère et mon frère. Avec les cinq Abdelnour qui venaient d’arriver, trois adultes et deux enfants, ça faisait beaucoup. « Mais voyons, Youssef, mon fils, ce sont les enfants du fils de mon frère – qu’il soit béni et repose en paix -, ils sont les seuls descendants de mon frère mort dans la fleur de l’âge, leur place est dans mon cœur. » » (p.14)

  • L’intrigue manque de logique. Des situations magiques ou «bonbons» viennent soutenir la fiction et créent des rebondissements trop faciles. Il est difficile de s’imaginer que certaines scènes peuvent se conclure aussi facilement.

Après avoir perdu son ami de vue pendant longtemps, l’aîné de la famille le retrouve:

« Pour dire la vérité, j’espérais, mais je ne pensais pas que je le verrais, mon côté pessimiste empiète souvent sur mon espérance. Ara était là. Devant moi. Il avait à peine vieilli. […] J’étais là devant mon maître et mon ami, et toutes ces années passées n’avaient plus d’importance. […] Il m’a demandé sans préambule: tu veux travailler? […] « Mon assistant vient de partir pour l’Amérique, la place est libre, elle est à toi si tu la veux. » » (p.172)

Est-ce que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens?

Malgré le fait que le roman amène le lecteur vers une ouverture sur le monde et vers une réflexion morale, éthique, sur la condition de la femme, nous pensons néanmoins qu’il ne mérite pas de gagner le Prix littéraire des collégiens. Si cette lecture nous fait réfléchir, ce l’intrigue nous a déçue, puisque l’auteure nous prend par la main. C’est un livre qui nous apprend le Liban, plutôt que de nous raconter une histoire.

Notre groupe attribue au livre une note de 6,23/10

Crédits photo: http://ici.radio-canada.ca/emissions/christiane_charette/2008-2009/chronique.asp?idChronique=151944

 

Citations préférées :

« Ce pays que ma sœur Faïzah appelle le Grand Soleil nous aveugle et nous soûle, avant de nous assommer. On se réveille avez le nez en sang et une vie perdue. » (p.60)

« C’est si surprenant, on a presque oublié ce qu’on a bien pu faire de si mal pour mériter ça. À cause de règles ancestrales, on n’a pas le droit de changer, d’évoluer. » (p.224)

PAR

Julie Aubin
Julie-Ann Desmarais
Camille Grenier
Camille St-Georges

 

Le corps des bêtes: avant le langage

Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 2018                        

                                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Titre : Le corps des bêtes

Auteur : Audrée Wilhelmy est une écrivaine québécoise née à Cap-Rouge. Elle habite aujourd’hui à Montréal. Elle a terminé, en décembre 2015, un doctorat en Études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal. Elle se consacre désormais à l’écriture romanesque.

Son premier roman, Oss, publié en 2011, a été finaliste au Prix du Gouverneur général du Canada. Son deuxième roman, Les Sangs, a été publié en 2013. L’ouvrage a lui aussi été finaliste au Prix des libraires du Québec. Son troisième roman, Le corps des bêtes, a été publié en 2017.

Résumé :  Le corps des bêtes raconte l’histoire de la famille Borya qui s’isole dans un phare sur le bord de la mer. En s’éloignant du village et de la population, les Borya perdent peu à peu leur morale, leur culture, leur langage, bref leur humanité, pour vivre comme des animaux. Mie, l’aînée des enfants, pour en savoir davantage sur la sexualité, s’introduit dans l’esprit des bêtes. Plus tard, elle demande à son oncle de lui apprendre le « sexe des humains ».

Propos: Le roman aborde le fait de redevenir une bête, de remonter le temps vers notre passé d’hommes des cavernes. L’auteure aborde l’inceste, la perte du langage, la vie de clan et la sensualité. Comme le titre le dit, l’oeuvre témoigne du rapport au corps et de la bestialité, deux thèmes intimement liés.

Points forts :

  •  Le corps des bêtes est une oeuvre longuement réfléchie et extrêmement travaillée. Elle démontre un véritable potentiel artistique.

    « Derrière les fenêtres, la mort s’effiloche en cheveux le long du continent. » (p.58)

  • Le thème de la bestialité est très bien exploité, créant une richesse autant dans le récit que dans le style.

    « Toujours, elle a emprunté le corps des bêtes – oiseaux et poissons, mammifères, insectes minuscules. » (p.39)

  • Le roman possède une richesse autant dans le récit que dans le style.

    « Les bateaux qui passent ont des mâts ou des hélices; les mots peints sur leur coque parlent d’un ailleurs inimaginable.» (p.32)

Points douloureux :

  •  Le vocabulaire utilisé par l’auteure est plutôt complexe.

    « Quand la migration se poursuit, elle cherche d’autres bêtes: loup, campagnol, colvert, lapin, rat musqué, buse, carcajou; tous en rut ou en pariade.» (p.53)

  • L’œuvre est très chargée en images, ce qui peut rendre la lecture ardue.

    «Elle balance son crâne vers son échine, son gosier se tend: le cri émerge sans effort, du ventre vers le ciel.»

  • Il est impossible de se situer dans le temps et cela crée une confusion pendant la lecture. D’un chapitre à un autre, on peut passer d’une époque à vingt ans plus tôt sans que cela soit bien indiqué.

    « Les sept premiers mois de sa vie, Mie les passe contre sa mère. (…) Mie a construit une image dans sa tête: ses habits en pile propre et son corps sous le drap. Elle a imaginé Osip découvrant le linge d’abord (…), la découvrant, elle, ensuite» (p.122 et p.130)

 

Est-ce que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens?

Le projet de ce roman est réussi et est intéressant à analyser, surtout en ce qui a trait aux thèmes, symboles et références bibliques. Malgré les efforts de l’auteure, Le corps des bêtes n’est pas plaisant à lire. Cette œuvre est trop lourde, le lecteur doit souvent prendre des pauses. Pour ces raisons, nous ne croyons pas que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens.

Notre groupe attribue au livre une note 4.86/10

Citation préférée :

« Elle ne sait pas lire les mots. C’est une enquête menée en images et en symbole inventés.» 

 

PAR

Julianne Brochu
Julie-Ann Desmarais
Amélie Lessard
Laurie Vigneault

 

Crédits photo: https://vivavilla.info/artistes/audree-wilhelmy/ 

Royal : Ode à la puissance obsessionnelle


Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 2018

Titre : Royal

Auteur : Jean-Philippe Baril Guérard est un jeune Québécois qui aura 30 ans cette année. Il a suivi une formation en tant que comédien à l’école de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe et, après avoir gradué en 2009, il s’est consacré exclusivement à l’écriture et à la mise en scène. Son premier roman, Sports et Divertissements, est paru en 2014. Entre-temps, il a coécrit Les cicatrisés de Saint-Sauvignac avec Sarah Berthiaume, Simon Boulerice et Mathieu Handfield.

Résumé : Tu entres à l’université. Tu te retrouves dans l’enfer des études de droits. « Au moins tu arrives à conserver la carrosserie quand tout ce qui est sous le capot est en train de lâcher. » Dans ta course aux stages, tu gardes tes ennemis près de toi, très près de toi. Pour dépasser tes échecs, tu dois effacer toute trace de ton humanité. C’est ainsi que tu deviendras le meilleur dans… le meilleur tout court. «Bonne chance.»

Propos : L’intégralité du roman repose sur trois thèmes: l’ambition, la déshumanisation et la destruction. On y retrouve aussi les troubles liés à la performance scolaire et les impacts de ceux-ci sur toutes les sphères de la vie des étudiants.

Points forts :

  •  L’implication du lecteur dans l’histoire. La narration à la deuxième personne du singulier implique le lecteur dans le récit. Il se surprend à vouloir lui aussi réussir à tout prix et est déstabilisé quand les choses tournent mal.

« On était trois jours avant le premier examen des intras. T’étais focus : t’avais commencé à consommer ton Concerta nasalement, en lignes, plutôt qu’oralement. » (p.81, Royal)

  • Les dialogues sont accrocheurs et hyper réalistes. Ils rappellent les interactions qu’ont les jeunes adultes. Il y a une tension qui persiste tout au long de l’oeuvre et les dialogues ajoutent de la fluidité.

« -Deuxième, Cousin Fred dit.

-Chaude, tu dis.

-Un bon exemple de mauvaise décision, elle, justement.

-C’est vrai que c’est beaucoup, les seins.

-L’ensemble, en général, c’est beaucoup.

-T’as goûté?

-Oui.

-Folle?

-Crazy. Regarde-la. » (p.34, Royal)

Points douloureux :

  • L’aspect sociopathe du protagoniste est parfois lourd et vient nuire à tous les aspect qui peuvent nous le rendre attachant.

« Je les ai pas, tes crisse de notes, Mike. Je suis pas assez con pour te voler ça. Je vais avoir ben plus de fun à te voir planter à l’examen en suivant les règles. C’est pas ça qu’on apprend, de toute façon, en droit? Planter le monde en suivant les règles? » (p.245, Royal)

  • Les phases de la crise existentielle du narrateur sont longues et nous sortent de l’histoire de ce dernier.

« Tu t’es mis à tout imaginer dans un million d’années. […] Tu t’es dit qu’effectivement, tout ça ne signifiait absolument rien, et que même si quelqu’un dans la classe, toi ou un autre, finissait par mériter une statue à son effigie, les statues mouraient elles aussi […] Tu t’es demandé quand le pavillon de droit finirait par arrêter d’être entretenu; tu t’es imaginé la nature reprendre ses droits… » (p.71, Royal)

Est-ce que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens?

Crédits photos : Cindy Boyce

L’oeuvre a tout à fait sa place dans la compétition pour gagner le Prix littéraire des collégiens. La narration est séduisante et permet de s’attacher au personnage principal, malgré ses défauts. Il est vrai que les thèmes qui sont liés à la fuite et à la drogue manquent d’originalité. Par contre, les thèmes sur l’obsession de performance et le suicide sont amenés de façon originale et se fondent bien avec la personnalité du personnage principal. De plus, le récit touche à l’univers des collégiens.

Pour toutes ces raisons, notre groupe attribue au livre une note 7.67/10 à ce livre.

Citations préférées :

« Tous les êtres humains sont décevants: il faut seulement leur laisser le temps. » 

« T’as jamais été fan de dignité humaine de toute façon. »

PAR

David Hétu
Alex Laviolette

 

Le continent de plastique: un bon plan

Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 2017

Titre : Le continent de plastique

Auteur : Auteur prolifique, David Turgeon se fait d’abord remarquer dans le monde littéraire québécois avec sa bande dessinée, La muse récursive, en 2006. Il a désormais trois romans à son actif, quelques essais et plusieurs autres bandes dessinées.

Résumé : Un homme nouvellement détenteur d’un doctorat en lettres devient l’assistant d’un écrivain populaire. Plein d’ambitions, il se fait rattraper par la routine et ne parvient finalement jamais à écrire quoi que ce soit.

Propos : Le roman aborde le monde littéraire sous toutes ses formes. Tout comme le continent de plastique, il est artificiel et personne ne peut réellement y vivre en permanence.

Points forts :

  • L’auteur utilise la métaphore du continent de plastique pour représenter le monde de la littérature. Cela explique toutes les histoires incomplètes qui s’amalgament pour former LE « continent de plastique », qui est le livre en soi.
  • Le narrateur répète sans cesse qu’il ne sait pas écrire, ce qui est ironique, puisque la qualité de son niveau de langue durant les descriptions est remarquable: «J’écrivis sans doute quelques lignes, mais qui n’allaient nulle part, mon cahier restait presque blanc, son quadrillage inentamé attendant que j’y dresse des plans dont l’objet me semblait chaque jour un peu plus flou. Et cette langue que je croyais savoir manier avait curieusement quitté mes doigts : mes phrases étaient pataudes, couvertes de ratures, bonnes à rien.»  
  • La théorie d’appropriation-distanciation que le narrateur défend durant sa thèse se rattache à l’ensemble de ses relations, que ce soit avec le maître ou avec ses amis:«Rien n’était foncièrement mauvais, mais rien ne donnait non plus très envie ; ces récits potentiels qui peut-être m’avaient passionnés autrefois ne provoquaient plus en moi qu’une curiosité distante. Il me fallait quelque chose de neuf, qui corresponde à mes passions du moment…» 

Point douloureux :

  • Le plaisir de lecture est compromis par des longueurs et par le manque d’intrigues (certaines sont installées, mais elle ne sont jamais réellement complétées). Le lecteur peut se désintéresser du livre lorsqu’il comprend qu’aucune histoire ne sera bouclée.
  • La froideur des personnages peut sembler désagréable ou ennuyeuse au lecteur. La plupart des personnages n’ont pas une personnalité très bien définie ou une histoire détaillée.

Est-ce que ce livre mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens?

Pour son style fort et imagé et sa capacité à dépeindre le réel, l’œuvre de Turgeon a bien sa place au sein des finalistes. Toutefois, la complexité du texte et l’absence d’émotions nuisent au plaisir de lecture.

Notre groupe attribue au livre une note 5,7/10

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir 

Citation préférée :

«Je suis, exposa le maître, ce que dans le métier on appelle un bon plan : j’écris, on imprime, ça vend.» 

 

 

 

 

PAR

Lolita Thiery
Sandrine Ducharme
Mélodie Lépine

Mektoub: Fatalités d’un monde illusoire

Fiche de lecture pour le Prix des collégiens 

Titre: Mektoub

Auteur: Romancier, poète et dramaturge, Serge Lamothe œuvre dans le milieu littéraire depuis vingt ans et sait surprendre les publics québécois, américain et japonais avec des réalisations qui sortent de l’ordinaire. Son roman Tarquimpol (Éditions Alto) a été finaliste au Prix des libraires du Québec de 2007.

Résumé:  Maya, jeune femme téméraire, et Galaczy, archiviste à la vie monotone, se croisent de façon réelle et imaginaire toute leur vie durant. Coïncidence? Le titre suggère plutôt qu’il s’agit du destin. Tout semble tourner autour d’un accident survenu lors des Jeux olympiques de 1976, mais qu’en est-il vraiment?

Propos: Chacun perçoit la vie différemment, selon le filtre ou la croyance que l’on choisit.


Points forts:  

  • Serge Lamothe a une plume polyvalente, son style diffère d’un narrateur à l’autre.
    Par exemple, on peut voir le vocabulaire recherché du premier narrateur: « J’ai fait tabula rasa de toutes les inepties socialement acceptables, de toutes les turpitudes d’un quotidien néfaste et abêtissant, de toutes les conceptions erronées qu’on nous enfourne dans le crâne toute notre vie durant.» (p.12)
    La voix de Maya est plus rythmée: «Tu es ce puzzle insane, une énergie qui n’appartient pas à ce monde, une matière noire qui ravale toute la lumière du cosmos et la restitue sous la forme d’inestimables débris.» (p.81)
  • Les personnages sont solides. Celui de Maya est complet et bien construit, on connaît les détails de son enfance et de sa personnalité. Cela permet d’ancrer l’histoire dans le réel.
  • Le roman encourage le lecteur à faire des liens entre la vie des deux personnages. Parallèlement, il ébranle ses impressions en ne lui fournissant aucune confirmation ou explication quant à ce qui s’est réellement passé.
  • Dans le roman, on constate une recherche approfondie de chacun des points de vue, des croyances et des événements entourant les personnages. L’auteur s’est renseigné sur l’histoire de Montréal, l’astrologie, la futurologie, le système de recensement, la vie à Kuujjuaq, les traditions du Ghana, etc.

 

Points douloureux:

  • Le livre laisse incertain quant aux événements qui se sont produits ou non, car la barrière entre rêve et réalité est floue. Par exemple, d’un personnage à l’autre, les mêmes événements sont racontés différemment, ce qui pousse le lecteur à toujours devoir retourner en arrière. Cette zone de flou gênait la compréhension de l’histoire.
  • La fin du livre n’est pas claire et confronte le lecteur à l’incompréhension. Il est difficile de comprendre ce qui arrive aux personnages.

 

Est-ce que Mektoub mérite de gagner le Prix littéraire des collégiens 2017?

Pour son style d’écriture polyvalent et son souci du détail, le roman de Serge Lamothe a des chances de gagner le prix littéraire. Toutefois, son caractère déstabilisant pourrait lui nuire lors du processus de vote.

Mektoub a reçu, dans notre groupe, la note de 7/10. Il reste dans le top trois des  cinq livres en lice.


Notre citation préférée
: « Jusqu’au tout dernier moment, on a le choix: on peut foncer tête première dans le piège que nous tend le destin, mais on peut tout aussi bien s’en détourner et poursuivre notre route sans être inquiété.»

 

Crédit photo: François Roy

PAR

Alexandre Gravel
Vicky Bérubé
Karolane Masson
Valérie Bergeron